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L’empathie au travail

Véronique Giordanella, Consultante RH Business-Management ; Juliette Vignes, Executive Coach Transition personnelle/professionnelle ; Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie ; Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation ; Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint.

Que veut dire « empathie », pour vous ?

Véronique Giordanella, Consultante RH

La capacité à percevoir et comprendre les émotions de l’autre.

Juliette Vignes, Executive Coach

Il existe deux niveaux d’empathie. L’empathie cognitive et émotionnelle. En Gestalt, l’empathie, c’est lorsque l’émotion de l’autre vous saisit. C’est un processus inconscient.

Il y a une différence avec la sympathie, qui peut aussi se manifester dans l’échange, le risque étant alors de se perdre en l’autre et que tout se mélange. En coaching, nous devons être particulièrement vigilant à cela. Dans ma pratique, l’empathie je peux décider de la mettre en action ou pas. Dans un contexte professionnel, l’empathie est nécessaire pour se connecter à l’autre mais cela peut demander un effort qui peut être fatiguant, et n’est pas toujours nécessaire.

Avec certaines personnes, avec lesquelles je n’ai pas une relation de Coach, et qui sont très loin de moi dans leur mode de fonctionnement, je vais choisir de ne pas activer ce mode là.

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

L’empathie, c’est la faculté à comprendre l’autre, ce qu’il ressent, sans prendre ses émotions. Le danger, c’est justement de prendre les émotions de l’autre pour soi et d’en souffrir.

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

L’empathie, c’est la capacité à s’identifier à l’autre. Faire preuve d’empathie envers l’autre, c’est reconnaitre et comprendre ses sentiments et ses émotions. Dans l’empathie, j’entends une disponibilité d’écoute bienveillante pour l’autre. En d’autres termes, une capacité ou tentative de comprendre ses objectifs et son champ de contraintes et de se projeter dans sa situation.

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

C’est la capacité à se mettre à la place de l’autre. En neuropsychologie, c’est comprendre et partager les états émotionnels de l’autre avec deux dimensions : émotionnelle automatique et cognitive consciente.

Dans l’immense majorité des cas, l’empathie est couplée avec de la sympathie.
1. Dimension émotionnelle, que l’on ait de la sympathie ou pas. C’est le ressenti. C’est automatique, non conscient en grande partie, et peu maîtrisable.
 2 Dimension cognitive. Un phénomène conscient qui fait intervenir d’autres réseaux cérébraux. L’aptitude à comprendre ce que pense l’autre, une réflexion consciente.
C’est une dimension sur laquelle on peut agir.

Est-ce que l’empathie s’apprend et comment ?

Véronique Giordanella, Consultante RH

Spontanément je dirais non. Je reste sceptique sur cette notion d’apprentissage pour tous et en peu de temps.
Être empathique implique avant tout d’être bien connecté à soi-même, d’être réceptif à ce qui se passe en nous afin de le repérer plus facilement chez l’autre.

Afin de développer son empathie, on peut travailler sur le sujet des émotions : la théorie est éclairante pour avoir des points de repères, une grille de lecture mais pour mieux se connaître il est indispensable de « pratiquer » c’est-à-dire de s’observer en situation, d’identifier ses ressentis, de revisiter ses propres expériences passées et d’accepter d’être parfois déstabilisé, bouleversé.
Un Manager qui serait coupé de lui-même va avoir du mal être empathique, à se relier à l’autre.

Juliette Vignes, Executive Coach

Cela se travaille vraiment. Un film a circulé sur les réseaux sociaux avec un petit enfant qui aide spontanément un adulte qui fait tomber des livres. Cela montre que nous en avons de façon innée car nous ne pouvons survivre sans les autres. Ensuite, les contextes, familiaux, sociaux, culturels amènent peut-être à réfréner notre empathie naturelle qui pourrait nous être dommageable.
Je pense que les enfants maltraités développent souvent une immense empathie.

Je m’interroge sur la distinction entre hyper vigilance et empathie. Ressentir ce que les autres ressentent à de fins de protection. Est-ce une forme d’empathie ou un besoin impératif d’être en sécurité avec l’autre.
Je pense que j’ai développé cette empathie dans la thérapie en groupe, en écoutant, comprenant les autres. Cela m’a ouvert le cœur à l’existence et à l’intimité des autres. En étant en contact avec une diversité de personnes un peu malmenées par la vie.
C’est moins le champ de la thérapie individuelle, me semble-t-il.

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

En tout cas, on peut la développer, la cultiver.

Il faut pouvoir :
– être authentique et sincère,
– faire preuve de proximité, de bienveillance, être chaleureux
– s’ouvrir également, de manière pertinente, à l’autre

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

Nous pouvons progresser dans n’importe quelle compétence humaine à condition de la travailler et d’avoir la motivation nécessaire.
Nous pouvons agir sur l’empathie cognitive.
En revanche, à ma connaissance, pas sur l’empathie émotionnelle car il s’agit d’un phénomène automatique. Sauf indirectement à la réguler avec la pleine conscience, la cohérence cardiaque, l’exposition à la nature, l’exercice physique. Certains programmes de pleine conscience visent à augmenter son empathie, comme ceux dont parle souvent Matthieu Ricard.

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

Je crois à l’inné et à l’acquis. Nous sommes plus ou moins empathique selon l’éducation que nous avons reçue. Au sein d’une même fratrie, les caractères et sensibilités sont différentes. Elle se développe lors de notre éduction, de nos expériences. Par éducation, nous pouvons choisir de la bloquer ou l’ouvrir. Un psychopathe n’a clairement aucune empathie.

J’ai lu que le ministre de la Justice envisageait de mettre un casque virtuel aux auteurs de violences emprisonnés pour leur faire ressentir ce que leur victime endure.
Cela m’a paru d’une grande violence, notamment pour ceux qui ont subi ces mêmes violences dans leur enfance.

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

La réalité virtuelle est un outil qui peut être utiliser pour détruire ou construire. On utilise cela pour les phobies et cela fonctionne très bien. Tout dépend du programme et de ce qu’on leur montre.
Mais pour les personnes qui ont des stress post-traumatiques ce n’est pas forcément une bonne idée. Adulte, nous pouvons réapprendre des comportements comme se socialiser, mieux interagir avec les autres, être moins impulsif.
Une part est ancrée, une autre améliorable. Il faudrait un traitement profond, c’est complexe. Seules les études de terrain pourront dire si ces programmes font du bien aux gens.

L’idéal serait bien sûr le casque virtuel couplé à une psychothérapie.
Mais nous sommes plutôt pauvres dans l’accompagnement des troubles psychiatriques en France, a fortiori s’agissant du temps accordé aux grands criminels.

Véronique Giordanella, Consultante RH

Je ne connais pas le détail de ce projet mais cela me parait aussi choquant qu’inefficace.

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

Je ne suis pas qualifié pour évaluer l’efficacité d’un tel protocole.
Je serais plus convaincu par une démarche visant à cultiver l’empathie chez les enfants dès le plus jeune âge dans le cadre scolaire notamment.

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

Nous ne sommes pas tous égaux face à l’empathie. Dans le cas de grands criminels comme des serials killers, c’est parfois le réseau de la récompense qui s’active lorsqu’ils voient souffrir quelqu’un. Ils utilisent l’empathie cognitive pour manipuler, dans un objectif malveillant. Le plus souvent, ils n’ont, en revanche, pas accès à l’empathie émotionnelle.

Est-ce que vous savez ce qui est proposé dans les formations à l’empathie que l’on voit fleurir ces jours-ci ?

Juliette Vignes, Executive Coach

Je ne sais pas ! Si je devais faire une formation dessus, ce serait une formation à l’écoute, avec au cœur la curiosité de l’autre et la capacité à se dévoiler. Ce qui me fait peur dans ces formations, c’est le fait de donner des outils, de la pure théorie, pour – soi-disant – comprendre le fonctionnement de l’autre.

L’empathie nécessite d’être profondément connecté à soi, d’avoir conscience de ses émotions, de savoir réguler ses émotions. Car si je suis hyper empathique, je peux partir en vrille.
Cela peut s’apprendre mais dans le cadre d’un travail sur soi, profond avec l’autre, en formation longue.

J’ai pu débloquer cette notion chez un client qui était très en colère. Dans notre travail ensemble, il a ressenti mon empathie à son égard et s’est reconnecté à son expérience de l’empathie avec un cheval. L’empathie était déjà en lui mais il n’y avait plus accès. Nous avons remis le mot au cœur. Pour pouvoir se connecter à son empathie, il faut déjà être sorti de ses mécanismes de défense. L’empathie est possible lorsqu’il y a la sécurité sinon, j’y reviens, c’est, à mon sens, de l’hyper vigilance.

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

Je n’en ai aucune idée ! J’avais vu un reportage sur des cours d’empathie donnés en primaire, dans un pays du Nord, l’Islande je crois. Ils obtiennent de très bons résultats. On sépare les garçons des filles pour inverser les rôles, et éviter ainsi les biais éducatifs. L’empathie c’est se mettre à la place de l’autre pour comprendre ce que l’autre ressent. Cela commence par là.

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

Je n’en ai aucune idée. Il serait intéressant de voir ce qui est proposé dans ces programmes et de savoir qui les donne. Des formateurs avec une compétence scientifique ? Des coachs expérimentés ? S’agit-il de travaux pratiques avec des mises en situation ?
La capacité à manipuler quand on grimpe les échelons est souvent présente alors que travailler un objectif d’attention au bien-être de l’autre pour l’efficacité collective nécessite un réel effort de prise de conscience, je pense que c’est globalement positif. Peut-être est-ce mon biais d’optimisme ?
Il est avéré que les personnes qui ont une bonne intelligence émotionnelle et de l’empathie ont plus de bien-être au travail et d’efficacité. Toutefois ces compétences ont plus de mal à s’exprimer dans un environnement extrêmement concurrentiel.

L’empathie est-elle une compétence comme une autre ?

Véronique Giordanella, Consultante RH

Tout dépend la définition que vous donnez au mot compétence. On peut assimiler l’empathie à une soft skills, principalement constituée d’une capacité à écouter et observer afin d’identifier les signaux (parfois faibles) que l’autre nous envoie. Apprendre les techniques d’écoute, on peut s’y entraîner. Mais parfois, on peut écouter ou voir sans comprendre réellement. La limite, à mon sens, c’est la capacité et l’envie de se connecter à l’autre.

Juliette Vignes, Coach

Quelqu’un de compétent saura l’utiliser. Je reviens sur mon idée de long terme qui nécessite un travail profond durable avec les autres, dans l’intimité. Un environnement ultra sécurisé me semble nécessaire pour laisser à l’autre une place en soi.
Des exercices comme se regarder dans les yeux pendant 5 min, poser des questions de pure curiosité, sans enjeu de convaincre, manipuler ou d’avoir raison. J’ai envie d’y associer le mot « résonance ».

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

Dans l’univers professionnel, elle est considérée comme une des soft skills. Elle n’est pas comme une autre compétence, car il y a un biais dans le monde du Conseil auquel j’appartiens, ailleurs elle n’est pas si répandue. Dans les fonctions commerciales, sans empathie, tu ne peux pas réussir. La manipulation est du « one shot ». En Design Thinking, il y a une grande phase d’empathie où tu dois comprendre les besoins en amont.

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

L’empathie, dans sa dimension cognitive est une compétence humaine qui se travaille comme une autre, comme sa capacité à réguler son stress. La question est de choisir dans quel domaine nous allons consacrer du temps et de l’énergie aux dépens d’autres activités comme la motivation, l’énergie, la gestion temps, l’organisation.
Parmi les soignants, ceux qui sont au contact des patients, beaucoup ont une capacité d’empathie innée élevée. D’autres, qui travaillent en solitaire, tendent peut-être justement à éviter les interactions sociales qui nécessitent de l’empathie. Mais c’est une caricature.

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

En tout cas, c’est une compétence. Une des fameuses soft skills de plus en plus appréciées des recruteurs. Elle me semble intrinsèque à un bon leadership.

Existe-t-il un lien empathie / performance ?

Véronique Giordanella, Consultante RH

J’en suis convaincue ! Lorsque les collaborateurs se sentent entendus, qu’ils voient que leur manager ou leur collègue considère leur situation, leur état, voire ajuste certaines décisions à la lumière d’une prise de conscience, cela donne confiance et nourrit la relation. Se sentir respecté pour ce que l’on est (même en cas de désaccord sur le fond), cela donne envie de faire mieux. Plus la « synchronisation » est forte entre deux personnes, mieux ils performeront ensemble.

Dans la relation managériale, l’empathie peut être extrêmement utile pour ne pas écraser l’autre et être alerté sur ce qui se passe chez le collaborateur. Cela implique de sortir du descendant. C’est une vraie force pour un manager qui, grâce aux informations qu’il capte, va gagner en compréhension et en proximité avec l’autre, sans complaisance pour autant.
Les managers non empathiques nous donnent parfois beaucoup de travail, en créant involontairement des situations conflictuelles. Pour les « rationnels », ceux qui pensent qu’il n’y a pas de place pour les émotions dans l’entreprise, l’empathie peut même être perçue comme une faiblesse, une perte de temps.

Juliette Vignes, Executive Coach

Je sais qu’il y a un lien entre absence d’empathie et performance. Ce serait en revanche terrible de l’utiliser comme vecteur de performance. La finalité de l’empathie, c’est l’empathie.
Va-ton masser les épaules des galériens pour qu’ils rament plus vite ? Cela n’est pas éthique !
L’empathie est un préalable, une nécessité dans la relation. Cela fait partie du fonctionnement de l’humain, qu’il soit en entreprise ou pas.
Je crois que l’on peut activer ou désactiver l’empathie avec un certain apprentissage. Notamment pour certaines personnes hypersensibles pour lesquelles cela peut être épuisant.
Je suis toujours étonnée de voir des gens qui supportent des films ultra violents et qui sont pourtant très empathiques.

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

Oui, bien sûr. L’empathie, c’est une écoute active et positive envers les autres qui crée les conditions de l’engagement, du bien-être et de la performance.
L’empathie permet en autre de :
– anticiper/résoudre des conflits
– communiquer efficacement
– convaincre
– négocier efficacement.

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

Dans le business, l’empathie se traduit par une capacité à mieux communiquer pour améliorer les relations, les performances et la motivation. Si un manager est trop critique avec un de ses employés, il ne se rend pas toujours compte de la souffrance que cela provoque chez son collaborateur. Si le collaborateur émet une objection, voire de la colère, le manager peut alors comprendre qu’il y a un besoin non perçu et essayer de modifier son discours pour pouvoir concilier ses objectifs personnels avec le ressenti du collaborateur. C’est un signal reçu, entendu qui permet de modifier son attitude.
L’empathie est un outil ambivalent que l’on peut choisir d’utiliser pour manipuler ou au contraire enrichir la relation et participer de la qualité de vie au travail.
Des études menées par Google ont montré que les équipes les plus créatives et efficaces étaient celles où chacun faisait attention à l’état émotionnel de l’autre, quelle que soit sa position dans la hiérarchie.
Mon sentiment est qu’il y a toujours plus bénéfices à la développer qu’à l’ignorer.

Dans une relation manager/collaborateur, si l’un des deux n’est pas empathique…

Véronique Giordanella, Consultante RH

Cela créera des difficultés. Même si le rapport de force est différent, l’empathie doit marcher dans les deux sens.

Juliette Vignes, Executive Coach

Cela va dépendre de chacune des personnes, des besoins de chacun pour que la relation fonctionne. SI quelqu’un a besoin de considération, de reconnaissance, cela va être compliqué si son manager ne l’est pas. Cela peut générer une frustration croissante.
Dans le cas d’un salarié non empathique, la position de pouvoir du manager peut lui permettre d’obtenir ce qu’il souhaite mais la qualité de relation sera plus pauvre.
Les managers ne mesurent pas à quel point ils sont importants pour leurs collaborateurs. Cela vaut aussi pour le N+1 du manager.

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

Cela dépend duquel. Cela n’a pas les mêmes conséquences. Si c’est le salarié et qu’il n’est pas en relation avec les clients, ce n’est pas grave. Un manager sans empathie peut bien sûr manager mais il ne va pas tirer le meilleur de son équipe.
Challenger, pousser l’autre à sortir de sa zone de confort, en lui donnant les moyens pour ne pas le mettre en échec, sans empathie, c’est plus compliqué.
Pour gagner des parts de marché, il faut comprendre le marché, et si tu veux faire évoluer les gens pour le bien de l’entreprise et de l’organisation, c’est utile. Un manager n’est pas là pour faire que tout se passe bien, ou pour se faire des copains. Mais les personnes qui ont un ami au travail se sentent mieux dans l’entreprise. Cela n’a pas nécessairement besoin d’être le manager.
Lorsque le manager bénéficie d’une bonne intuition, comme un Steve Jobs, de ce qui plaît au marché, il peut très bien piloter une entreprise sans empathie. Cela n’empêche pas l’organisation de réussir. Mais il faut d’autres moteurs…
Certains considèrent cela comme de la faiblesse et ne désirent pas des relations empathiques. Dans une situation de pouvoir, avec un empathique face à un non empathique, ce n’est pas l’empathique qui gagne.

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

Dans ce cas, je pense qu’il peut y avoir de la frustration pour celui qui ne sent pas entendu. Cela n’est jamais bon.

Y-a-t-il encore de l’empathie dans les sommets du pouvoir ?

Véronique Giordanella, Consultante RH

Je ne pense pas du tout que l’empathie et le pouvoir (même au sommet !) soient antinomiques.

Juliette Vignes, Executive Coach

Le pouvoir peut amener à s’affranchir de l’empathie. Il y a des dérailleurs du pouvoir je crois.
Le pouvoir s’accompagne de la montée en testostérone. Elle est souvent peu compatible avec l’empathie. Le pouvoir, ce sont des prises de décision et certains coupent l’empathie pour pouvoir prendre ces décisions. En étant empathique, on risque aussi de se laisser submerger.
Un dirigeant m’a dit : « Je dois prendre des décisions difficiles pour le bien de l’entreprise et pas le bien des personnes ». C’est compliqué. Mais s’il a de l’empathie pour en parler, l’annoncer, cela se passe mieux que sans …

Les contraintes légales, syndicales, compliquent parfois ce travail de pouvoir dire, préparer, avec plus d’empathie peut être.
Dans les formations que j’ai faites, il y a une grande peur, c’est l’écoute.
J’ai entendu d’un manager dire « Si j’écoute mon collaborateur, si je suis curieux de lui, il risque de croire que je suis d’accord avec lui et ensuite il va falloir que je fasse quelque chose. Je ne peux plus faire comme si je n’avais rien entendu. »
Cela demande beaucoup d’assertivité de pouvoir prendre en compte les besoins d’un côté et de l’autre. Il ne faut pas que cela devienne un jeu. Il y a une responsabilité des deux côtés.
L’assertivité est fondée sur l’empathie. J’ai d’ailleurs écrit une série de posts sur ce sujet. https://urlz.fr/inOt

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

Pour moi, le seul vrai pouvoir est le pouvoir politique. Quand les ambitions sont élevées, on est animé par le pouvoir, et il laisse peu de place à l’empathie.
Avant le numérique et les GAFA, le seul vrai pouvoir était le pouvoir politique. Aujourd’hui, le pouvoir réside dans la data.
La fondation de Bill Gates pour l’Afrique, c’est de l’empathie par le projet selon moi et aux antipodes de l’exercice du pouvoir d’un Donald Trump.
En entreprise, lorsque tu n’as pas les compétences nécessaires, tu as un plafond de verre. En politique, il n’y en a pas forcément, tu ne joues pas avec ton argent, alors qu’en entreprise, tu cours le risque de te faire sortir.

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

J’espère bien ! L’empathie assoit un leadership. Sans empathie, pas d’engagement durable des équipes et la qualité des décisions en pâtit

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

Le lien empathie /pouvoir existe, il a été étudié. L’empathie diminue dans les sphères de pouvoir. L’empathie a tendance à se perdre en montant dans la hiérarchie, avec plus de contraintes, de charge mentale. Ces personnes sont davantage tournées vers leurs objectifs que vers les autres.
Il y a ensuite le rôle de l’entourage qui peut nourrir un excès d’ego, les dirigeants vont alors faire moins attention aux autres et devenir moins empathique. Lorsque l’on croit son opinion supérieure à celle des autres, on fait moins attention, on est moins à l’écoute. On pense pouvoir mieux décider avec ses seules compétences.
En revanche, ces dirigeants n’en ont pas conscience. Erwan Deveze a écrit un livre Le pouvoir rend-il fou ?. Nous avons parlé ensemble de l’empathie liée au niveau hiérarchique des dirigeants et il a inclus un passage sur ce sujet, dans son ouvrage.

Devons-nous tous devenir empathique ?

Véronique Giordanella, Consultante RH

Cette injonction n’a pas de sens. Bien sûr, plus les personnes se connaissent et s’intéressent à l’autre plus cela favorisera l’empathie.
Mais si c’est pour faire semblant et plaquer une technique/une « procédure » non incarnée, cela ne fonctionnera pas : la sincérité ne se trafique pas et les gens perçoivent les dissonances comportementales très rapidement.

Juliette Vignes, Executive Coach

Je ne sais pas. Je dirais plutôt qu’il est important de rester curieux de l’autre pour activer sa compréhension de l’autre.

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

Dans un monde idéal, peut-être.
Dans la réforme des retraites par exemple, on peut se dire que la porter à 65 ans, c’est absolument injuste et cela manque d’empathie parce que les gens ont travaillé toute leur vie avant de pouvoir y accéder. Sachant que la durée de vie s’allonge, tu plombes les comptes si ta décision repose entièrement sur l’empathie. Je reviens sur du rationnel. L’équilibre est compliqué à trouver.
Peut-être que les empathiques et non empathiques doivent éviter certaines fonctions.

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

En tout cas, il me semblerait sain que chacun cultive ses capacités d’empathie.
Le monde ne souffrirait pas de plus d’empathie entre les êtres.
Prêter attention, essayer de comprendre l’autre me semble toujours positif.

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

Nous pouvons mesurer aujourd’hui que plus les gens sont empathiques, plus ils ont tendance à cultiver un état positif, moins ils ont de risques de développer un burn-out, une dépression. Ils ont de meilleures relations aux autres, de meilleures carrières aussi. On améliore aussi son état physique et toutes les maladies liées au stress. Alors je répondrais oui !
Dans les pays Baltes et Scandinaves, l’empathie est enseignée, avec des résultats spectaculaires.

A l’inverse il faut savoir aussi se préserver d’un excès d’empathie susceptible de favoriser un épuisement professionnel, les soignants sont souvent exposés à ces problématiques et doivent apprendre à gérer un juste équilibre.

Est-ce que finalement former à l’empathie n’est pas un outil comme un autre pour questionner la connaissance de soi ?

Véronique Giordanella, Consultante RH

En un sens, oui. En tout cas, ces « formations » sont sans doute pour certaines personnes, une porte d’entrée vers la connaissance de soi.

Juliette Vignes, Executive Coach

Oui. Je pense qu’à l’âge adulte, nous devons élever notre niveau de confiance en nous-mêmes et en l’autre. L’empathie peut y participer.
Pour moi, il ne s’agit que d’une partie de ce que nous pouvons apprendre ou essayer de développer pour élever cette conscience et confiance.
C’est plus simple en parlant de soi. J’avais une mère non empathique. Je suis très empathique de nature. Compte tenu de cette opposition, j’ai mis en place des mécanismes de défense, de contrôle. Je ne savais pas l’utiliser à bon escient. L’empathie pouvait devenir intrusive, envahissante. C’est là que l’empathie défensive deviendrait, pour certains, du sauvetage, comme évoqué dans la série TV En thérapie.
J’ai pu développer une vraie compétence à l’utiliser mais cela supposait que cela soit déjà là.
Peut-être une compétence innée, qui peut être affecté par la vie et que l’on choisit parfois de bloquer. C’est une compétence à travailler et à utiliser plutôt qu’à apprendre peut-être.

Isabelle Vissuzaine, Consultante en Innovation

Je ne crois pas. Elle est tournée vers les autres par vers soi-même, même si elle aide à comprendre ce qui se passe en soi.
Néanmoins, je pense que les gens empathiques sont capables de se remettre en question.
J’ai envie de partager ma lecture du moment Ces animaux qui nous font du bien de Jean-Louis Victor. Je pense que les animaux sont naturellement empathiques, ils peuvent servir de lien pour nous apprendre bien des choses et à dépasser certains traumatismes.
Je dirais que c’est un bon outil pour interagir, contenir sa colère mais avec des limites !

Hervé Cassagne, Directeur Général Adjoint

On ne progresse pas dans la connaissance de soi sans confrontation sincère à l’altérité.

Bernard Anselem, Médecin, master de neuropsychologie

La connaissance de l’autre est liée à la connaissance de soi. L’inverse est aussi vrai.
Être à l’aise avec soi-même permet d’être plus empathique car plus disponible pour l’autre.
A l’inverse certains se perdent dans l’autre, s’oublient eux-mêmes, c’est souvent corrélé à un problème d’estime de soi. La psychoéducation peut être utile.
Il est possible d’apprendre à affronter ses émotions avec un travail sur l’estime de soi inconditionnelle : apprendre à accepter ses potentiels, ses imperfections, ses défauts, arrêter la comparaison, … mais c’est un autre sujet, celui de s’accepter tel que l’on est, et qui permet de s’ouvrir aux autres.

Les neurones miroir sont des neurones capables de s’activer lorsque l’on fait quelque chose ou lorsque l’on voit une autre personne faire. Ce sont des neurones sensoriels et moteurs. Cela marche aussi lorsque nous imaginons faire le geste. Ces neurones jouent un rôle important dans l’apprentissage et dans la perception des fonctionnements de l’autre.
Certains en ont déduit trop vite qu’ils étaient les neurones de l’empathie. Ils peuvent participer à l’empathie émotionnelle, non consciente, mais ce n’est qu’un maillon de la chaîne qui va de la perception de l’autre à la compréhension et à l’action.
Il est exagéré de dire que les neurones miroirs se résument l’empathie affective, mais ils y participent.

La partie cognitive apparaît dans l’enfance avec la capacité de comprendre que l’autre n’est pas soi-même. Cela apparaît entre 3 et 5 ans. C’est la théorie de l’esprit qui permet de comprendre que l’autre ne ressent pas forcément la même chose que soi, et constitue la base de l’empathie. Ce qui fait la complexité de l’empathie est la coexistence de ces deux dimensions relativement éloignées. Nous avons tous une part innée d’empathie émotionnelle, c’est la résonance émotionnelle. Nous en sommes tous dotés. Et puis il y a une part cognitive, culturelle, acquise par les jeunes enfants en fonction de leur environnement. Ceux qui sont élevés dans une famille aimante sont naturellement mieux dotés que les autres. Ce qui est acquis dans les premières années de vie est solide.

Pour un dirigeant qui aura perdu son empathie dans l’exercice du pouvoir, plongé dans un environnement contraint, il sera en mesure de récupérer ses capacités de départ, grâce à une démarche délibérée.

Mai 2022

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