loader image

Dans la tête de… ? Guillaume Tirtiaux

Interview de Guillaume Tirtiaux, copilote sur Boeing 777, formateur en CRM – Crew Ressources Management – chez Air France, co-fondateur de Report’in, et auteur de Mieux réussir ensemble.

Bonjour Guillaume, trois mots pour te définir ?

Partage, courage et optimisme.

Que ou qui voulais-tu être enfant ?

Je n’ai pas la réponse. En revanche, je sais pourquoi. Je suis orienté sur le futur et toute information que je considère comme inutile, dans un processus inconscient, ne m’est plus accessible. Et chaque fois que je vois ma mère, j’oublie de lui poser cette question !
Je vivais dans une maison près de Namur survolée par de petits avions en permanence. L’aérodrome était tout proche.
Je me souviens d’une conversation anodine avec un coach sportif. J’avais 15 ans. Je lui ai dit que l’aviation me faisait rêver. Il m’a dit : « Pourquoi tu ne fais pas cela ? ». Et là, je me suis ouvert à ce qui me semblait inaccessible.

Tu as occulté cette information. Tu crois qu’il n’y a pas de réponses dans le passé ?

Je dirais que dans le passé, il y a des réponses qu’il ne faut pas oublier pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Il y a des informations utiles et non utiles. J’ai tendance à éluder inconsciemment ce qui n’est pas dans mon orientation temporelle.

Cela encombre ton espace et ton champ de vision ?

Sans doute. Il y a un concept en PNL qui s’appelle les Meta programmes.
Une bonne illustration en est celui qui voit le verre à moitié vide ou à moitié plein. Ou encore, l’orientation Passé ou Futur. Avec les personnes clairement orientées Passé, il est plus compliqué d’échanger lorsque tu abordes le futur et toutes les incertitudes que cela suppose.
Il existe une vingtaine de Meta programmes et il est intéressant de les connaître car si tu vas à l’encontre de ceux de ton interlocuteur, il aura beaucoup plus de mal à entendre ton message car cela ne rentre pas dans sa carte du monde.

Quand as-tu choisi de te lancer dans cette aventure dans les hauteurs ?

A l’âge de 16 ans, avec le planeur. Dans ces stages, j’ai rencontré de nombreux pilotes de ligne.
J’ai commencé à apprendre avec un instructeur de petits avions, puis fait une formation d’ingénieur électricien pendant 5 ans, et ensuite une spécialisation en électronique- télécommunication. Que de la technique, du rationnel cartésien.
Je passais tous mes étés à l’entraînement. J’ai compris que pour réussir c’était important.
Après 3 ans, j’ai dit à mon père que je voulais devenir Pilote et que j’allais arrêter mes études pour réaliser ce projet. Il m’a dit qu’il respectait mon choix et posé calmement deux options :

  1. Arrêter mes études et me débrouiller seul.
  2. Poursuivre encore deux ans mes études et me financer la formation de pilote.

Le calcul a été vite fait 😊 Et j’ai finalement été heureux d’avoir bouclé ce parcours de formation et d’obtenir mon diplôme d’ingénieur.

J’aime avoir une vue d’ensemble sur le monde

Qu’est ce qui t’attire là-haut ?

J’aime avoir une vue d’ensemble sur le monde. Au sens propre, c’est une vue globale. Les choses sont différentes de nos représentations vues du haut.
En planeur, c’était découvrir autrement des lieux que je connaissais. Lorsque je suis devenu pilote d’avion de ligne, sur de longues distances, c’était pour découvrir des endroits dont j’avais entendu parler à l’école, dans des magazines ou sur un atlas. Survoler le Groenland ou le Grand Nord Canadien a été pour moi un événement magique ! Pendant deux heures à 800km/h, de la glace qui flotte, des banquises, des paysages glacés, c’est impressionnant et je pense que c’est de là-haut que l’on peut mieux les apprécier.

Au début de ta carrière de pilote, tu m’as dit avoir ressenti pas mal de pression en raison de ton jeune âge ?

Au niveau pilotage, je me sentais assez à l’aise, et on me disait relativement doué. Je suis passé Commandant de bord et instructeur assez jeune avec autour de moi des collègues et co-pilotes qui avaient beaucoup plus d’expérience que moi.
Je devais les contrôler au simulateur pour prolonger leur licence et leur autorisation de vol. Je me mettais une certaine pression alors j’ai fait en sorte d’être incollable sur le plan technique.
Ensuite, j’ai cherché quelque chose qui me permette d’aller plus loin que de simplement leur dire : « C’est super, tu as bien bossé ! »
C’est à ce moment que je me suis intéressé à une discipline neuve : le CRM – Crew Ressource Management -, la formation au fonctionnement des équipages, qui était déjà mise en œuvre aux Etats-Unis depuis plusieurs années et faisait son apparition dans la règlementation européenne.

Cela a été ton choix de différenciation pour sortir de la technique et de la comparaison ?

Oui, un sujet de curiosité qui a pris une toute autre dimension après un épisode de vol que je raconte au tout début de mon livre, Mieux réussir ensemble.
J’étais le Commandant de bord d’un avion de passagers, à destination de Catane, en Silice. L’aéroport est proche de l’Etna, le relief est important et les procédures d’approche sont un peu particulières.

Un vol sur deux, c’est le Commandant qui pilote et le copilote l’assiste. Le vol suivant, c’est l’inverse. S’il y a une décision importante à prendre, dans tous les cas, c’est le Commandant de bord qui tranche si nécessaire car c’est lui qui a la responsabilité pénale en cas d’incident.

J’étais donc aux commandes sur ce vol, le copilote m’assistait. Il avait beaucoup plus d’expérience de vol que moi.
J’arrive au-dessus de l’aéroport un peu trop haut et un peu trop vite.
Là, je me retrouve enfermé dans une situation mal maîtrisée dans laquelle je le sens mal, et mon copilote me dit : « Ca va aller, ça va le faire ». Cela a changé mon discours interne en : « Il faut que ça se passe, sinon de quoi aurais-je l’air ?».

Tu as eu peur de ne pas être à la hauteur face à ton copilote, plus expérimenté ?

Oui, probablement.
J’ai réussi à me poser. Il faut savoir que la piste d’atterrissage se termine dans l’eau. Je parviens donc à atterrir à quelques petites centaines de mètres du bout de la piste mais je n’étais pas fier.
Mon copilote me dit « Bien joué ! ». J’avais ma jambe gauche qui s’était mise à trembler de façon incontrôlable. J’ai pu le cacher mais il fallait ensuite que je guide l’avion au sol, le système de guidage sur cet appareil n’était que du côté du Commandant de bord, donc du mien. Je ne pouvais donc pas demander à mon Copilote de prendre les commandes en lui disant que j’avais un problème. Ma jambe s’est calmée, petit à petit.
Je sentais un véritable malaise par rapport à ce qui s’était passé et me demandais d’où venait ce mouvement incontrôlé. J’avais 28 ans. Je venais de vivre une situation de stress intense, qui a provoqué une forte remise en question.
Il y avait 149 passagers dans cet avion, 4 hôtesses, mon collègue copilote et j’avais fait quelque chose avec lequel je n’étais absolument pas d’accord !

J’avais été confronté à un problème mais j’avais envie de l’oublier parce que ce n’était pas confortable.

Tu as tout de suite pensé que tu n’étais pas d’accord, que ce n’était pas ta décision ?

Oui. On appelle ça « s’enfermer dans un entonnoir » en aviation. Tu as plein de possibilités au départ et au fur et à mesure tes choix se rétrécissent jusqu’à ce que tu n’en aies plus du tout. Ce qui m’a perturbé, c’est qu’un autre choix était possible jusqu’au bout mais je me suis quand même laissé enfermer dans cet entonnoir.
C’est à ce moment là que j’ai commencé à m’intéresser un peu plus au fonctionnement humain. J’avais été confronté à un problème mais j’avais aussi envie de l’oublier parce que ce n’était pas confortable. J’ai mis de côté cet épisode gênant pendant un moment. Je n’en parlais pas. Et avec mon copilote, nous n’en avons jamais parlé.

Il n’a rien vu ? Le stress, ça se sent, non ?

Au niveau de ma jambe, je n’en sais rien. Mais je ne suis pas certain qu’il était moins stressé que moi.
J’ai vécu une situation semblable comme copilote à Air France sur un vol pour Lisbonne quelques années plus tard. Le Commandant de bord s’était enfermé dans le même schéma. Sur une approche au-dessus de l’aéroport de Lisbonne, je lui ai dit « Remise de gaz » et il m’a répondu « Non, non, ça va aller ». J’ai insisté : « Négatif. Remise de gaz. ». Là, ça l’a sorti de son schéma et nous avons pu procéder à la remise de gaz.

Il y a un grand principe en aviation, si un pilote dit « remise de gaz », on la fait et on en discute ensuite parce que ‘l’on ne peut pas tout voir. Il vaut mieux la faire, même si ce n’est pas absolument nécessaire, parce que parfois cela peut très mal se terminer.
Arrivés au parking, nous avons fait un debriefing. Alors qu’à Catane, nous étions dans la fuite et nous n’avions surtout parlé de rien alors qu’il est plus que probable que nous avions tous deux mal vécu la situation.

Le passager paye pour voyager en sécurité et pas pour que le pilote fasse une démonstration

C’est quelque chose que l’on n’évoquait pas dans les formations à cette époque ?

Pas dans celles que j’avais suivies. Nous étions dans une culture de la performance technique alors qu’aujourd’hui nous sommes davantage dans une culture de la performance en sécurité. Nous avons complètement changé de paradigme. Le passager paye pour voyager en sécurité et pas pour que le pilote fasse une démonstration.

Quand t’es-tu intéressé à cette approche autour de l’humain, de l’équipe, le CRM ?

En 2007, j’étais chez Ryan Air. J’ai retrouvé Frederik, un pilote que j’avais croisé chez TNT, qui avait fait trois ans de médecine avant de commencer une carrière dans l’aviation.
Nous avons échangé autour d’un verre et il me dit qu’un jour il aimerait se lancer à nouveau dans l’univers médical car ils avaient besoin de tous ces outils : checklist, CRM, etc, parce que les résultats en termes de sécurité étaient catastrophiques. Le dernier chiffre aux Etats-Unis lié à des dysfonctionnements dans le médical est de 250 000 à 400 000 morts par an. En Belgique, il est de 9 à 18 000 morts par an.
Si on extrapole les chiffres US qui datent de 2016 pour la France sachant que la formation, la technologie, le savoir-faire sont similaires, on est entre 30 et 60 000 décès par an liés à des erreurs médicales.

J’ai dit à Frederik qu’il me contacte si jamais il se lançait là-dedans car cela m’intéressait aussi. Je l’ai rejoint quelques années plus tard. C’est là que j’ai approfondi mes connaissances en CRM et d’autres domaines annexes.
Nous avons créé une structure pour former les gens dans les hôpitaux autour de ces techniques. Nous avons formé plus de 600 personnes qui interviennent dans les blocs opératoires en Belgique.

Les conditions et les contraintes sont les mêmes dans les hôpitaux ?

A 90%. J’ai passé de nombreuses journées dans des blocs opératoires pour observer comment les équipes travaillent. Comme c’est très nouveau pour la plupart d’entre eux, il est important de faire connaissance et d’échanger au préalable. Si je ne comprends pas ce qu’ils font sur le plan technique, lorsque j’observe l’équipe sur le terrain, je sais si cela peut ou pas marcher. C’est parfois très préoccupant. Ce n’est pas leur faute, ils n’ont pas été formés. Les médecins ont une formation élitiste qui fait souvent d’eux des individualistes.

Est-ce que la liberté, c’est de savoir s’affranchir de l’ego ?

C’est une bonne question ! J’ai une section sur l’Ego dans mon livre. Ryan Holiday s’est beaucoup intéressé à ce concept et cite Marc Aurèle : « Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre »
Il parle de l’égo équilibré, car nous avons besoin d’ego car il nous protège, mais lorsqu’il est trop fort, cela peut aller à l’encontre de l’objectif commun.

Et nous emmener dans l’entonnoir que tu évoquais tout à l’heure…

Exactement. Il peut nous conduire à être dans une forme de compétition avant d’être dans une collaboration.
Une façon de se rendre compte de son mode de fonctionnement, et que j’aborde dans ces formations, est d’écouter la petite voix que nous avons dans la tête. Dans notre cerveau, il y a le mode automatique et le mode adaptatif. Daniel Kahneman parle du Système 1, Système 2. Je les revisite dans mon livre.
Ces deux modes sont présents en nous, notre petite voix nous indique pourquoi nous avons une réaction plutôt qu’une autre. Je reprends les mots de Viktor Frankl, un psychiatre Autrichien qui a vécu les camps de concentration et qui, pendant les séances de torture qu’il a subies, s’imaginait expliquant à ses étudiants ce qui lui était arrivé après être sorti du camp. Il se projetait d’un un futur qu’il espérait exister et se dissociait de ce qu’il vivait dans l’instant pour réussir à y survivre. Une forme d’autohypnose.
Il a dit :

« Entre le stimulus et la réponse, il y a un espace. Dans cet espace se trouve notre pouvoir de choisir notre réponse. C’est dans notre réponse que résident notre croissance et notre liberté ».

Viktor frankl

Avec tout ce que l’on nous envoie sur les réseaux, pour nous inviter à, justement, réagir, et sur lequel nous sautons hardiment, comme les biquettes des vidéos, nous en aurions bien besoin…
Pourquoi as-tu écrit ce livre Mieux réussir ensemble ?

Je l’ai écrit, car en 2016, nous avons formé 600 personnes dans les blocs opératoires en Belgique, dans un groupe de 6 cliniques et hôpitaux, avec des retours extrêmement positifs.
En 2009, l’OMS a publié une check-list chirurgicale qu’elle encourage les établissements de santé à réaliser avant chaque opération.
La check-list de l’OMS s’appuie sur le contrat qui a été passé avec chaque patient. C’est-à-dire que le préalable est déjà : c’est le bon patient. Or il y a parfois des interventions qui sont réalisées sur le mauvais patient. Le contrat c’est aussi vérifier si c’est la bonne intervention, le bon côté. Il y a encore beaucoup de praticiens qui, pour des raisons d’ego, n’utilisent pas la checklist parce qu’ils ont l’impression que cela remet en cause leurs compétences.

StockSnap Pixabay

Notre idée était déjà de leur faire prendre conscience de l’utilité de cette checklist et nous les avons emmenés dans un simulateur de vol, le même sur lequel je suis entraîné et contrôlé tous les 6 mois. Nous leur avons expliqué la raison d’être de la checklist dans l’aviation. Ils pilotaient le simulateur et nous les avons amenés à réaliser que dans une situation critique avec une charge cognitive importante, ils ne se souvenaient plus des informations qu’ils avaient en leur possession.

Cognitivement parlant, nous ne sommes pas capables de gérer plus qu’une masse d’informations relative. Et cela nous arrive tous au quotidien.

Ensuite, nous avons adapté la checklist au bloc opératoire., avec l’hôpital pour qu’elle soit la plus efficace possible parce que si la check-list de l’OMS a le mérite d’exister, elle comporte des lacunes et chaque établissement doit l’adapter à sa réalité.
Lorsque nous faisions cette transition vers la checklist de l’hôpital, nous leur avons demandé : « Vous vous souvenez tout à l’heure dans le simulateur, vous avez été un peu dépassés, voire submergés. Cela vous arrive-t-il parfois dans votre quotidien professionnel de vous retrouver dans cette situation-là ? ». A 90%, ils répondaient « Oui ».
Ils ont réalisé que cet outil de référence ne remettait pas en cause leurs compétences techniques mais était un outil de pilotage en cas d’urgence, car cognitivement parlant, nous ne sommes pas capables de gérer plus qu’une masse d’informations relative. Et cela nous arrive tous au quotidien.
Ce petit bout de carton avec ces informations basiques, cela nous aide et nous retire un poids.
Nous avons reçu de formidables témoignages nous indiquant que cela avait changé la dynamique au bloc opératoire. Car, il n’est pas possible de parler de check-list sans parler de briefing et de leadership.

Une belle réussite qui a dû créer un élan, non ?

Les deux télévisions nationales belges s’y sont intéressées et sont venues filmer cette formation.
A partir de là, nous nous sommes dit que tout le monde allait être emporté par la réussite de ce projet et ces formidables retours terrain. Eh bien non, pas du tout !
Nous avons eu ensuite beaucoup de rendez-vous qui se terminaient souvent par un point de blocage. Un service qui dit « Non » lorsque les vingt autres sont partants et le projet ne se fait pas.
J’ai ressenti beaucoup de frustration de ne pas pouvoir intervenir de façon plus massive. J’avais entendu de tels retours sur l’utilité de ce type de formation et sur les changements qui avaient mis en place après coup.
Alors je me suis demandé comment partager cela à large échelle, et j’ai entrepris d’écrire ce livre car tout avait commencé à s’articuler dans mon esprit pour le construire.
Je l’ai écrit, pas seulement à destination de la santé, car ces connaissances, ces techniques, peuvent concerner n’importe qui, dans n’importe quel collectif.

D’où viennent les freins ?

Nous parlions de l’ego tout à l’heure. Ils viennent souvent de là.

Je trouve très intéressant de pouvoir transférer les outils de certains secteurs d’activité à d’autres, là où il y a des enjeux communs, comme la sécurité.

C’est de l’intelligence collective. J’ai profité de cette occasion dans mon livre pour faire parler différents secteurs d’activités qui ne se parlent pas d’ordinaire.
Certains autres secteurs ont vu l’utilité de checklist et d’auto-briefing pour éviter les erreurs, comme dans le nucléaire.
Il y a une telle technicité et spécialisation dans les organisations depuis 15 ou 20 ans que nous fonctionnons finalement de plus en plus en silos.

Est-ce que nous ne sommes pas justement trop dans cette hyper spécialisation avec des individus, seuls détenteurs de connaissance ? Et la vue d’ensemble dans tout cela ?

Absolument. Le problème est que l’on a perdu la vue d’ensemble.
Nous avons besoin de techniciens avec des savoir-faire précis mais il faut aussi savoir les remettre dans un contexte de coordination globale, à l’échelle de ce que nécessite la situation.
La peur de perdre son pré carré, son petit pouvoir, est encore trop présente. Cela va à l’encontre de la réussite globale.

C’est très bureaucratique en fait.

La crise actuelle est un bel exemple ! Elle est gérée par des technocrates qui n’ont bien souvent jamais vu un patient de leur vie, et lorsque certaines décisions prises qui vont à l’encontre du bien-être sont remontées par les gens qui sont au chevet des malades, ils ont du mal à l’entendre, car les chiffres ne le disent pas. Cela manque cruellement d’intelligence collective.

Anemone123, Pixabay

Quelles sont les fondations d’une bonne collaboration ?

Pour revenir sur l’ego, c’est accepter de se mettre en retrait.
Idriss Aberkane dit : « Il y a des personnes qui mettent leur ego au service du projet et d’autres qui mettent le projet au service de leur ego. »
La première option est à privilégier, avec tout ce qui en découle, être en réponse plutôt qu’en réaction. Même si nous ne serons jamais infaillibles, avec de l’entraînement, nous devenons meilleurs.
Prendre conscience de ses limites et les accepter. Apprendre à s’écouter, à prendre le temps de la réponse, à identifier ses stratégies perdantes, ses réactions non efficaces systématiques.
Dans le système scolaire, on ne nous apprend pas à collaborer. La recherche de performance se traduit par une compétition individuelle.

Ce qui est important et s’applique facilement à une équipe, c’est de prendre en compte la réalité de l’autre. Et si on pouvait ne faire que cela, ce serait déjà énorme car un des besoins de chacun est d’exister pour ce qu’il est, de se faire réellement comprendre, et d’être reconnu comme tel. A partir de là, on peut explorer comment construire quelque chose ensemble.
Or la dynamique la plus courante est comment faire pour convaincre l’autre que ma façon de fonctionner est la bonne ? Et on arrive facilement au blocage voire au conflit.

Le baromètre annuel du Harvard Business Review sur l’engagement des salariés est en moyenne en Europe à 15% et à 12% en France, il me semble. C’est dramatique !

Ma croyance est que l’être humain est fondamentalement bon à partir du moment où l’on lui donne ce dont il a besoin pour s’exprimer et s’épanouir.

Nous sommes constants dans nos croyances…

Ma croyance est que l’être humain est fondamentalement bon à partir du moment où l’on lui donne ce dont il a besoin pour s’exprimer et s’épanouir.
Je suis convaincu que nous avons toujours le choix. Mettre les personnes dans des situations dans lesquelles elles sont incapables de réfléchir à des alternatives parce qu’elles se sentent menacées contribue à énormément d’échecs.

J’ai relevé dans ton livre l’idée de sortir du « faire » pour être davantage dans « l’être ».
Pour mieux faire ?

Cela me vient de plusieurs lectures. Un anthropologue des années 50, Gregory Bateson, a analysé des centaines de mythes, de légendes, de romans, et s’est rendu compte que l’on retrouvait systématiquement une structure en 6 niveaux : Environnement, Comportement, Capacités, Croyances/valeurs, Identité, Sens. Dans la structure de Bateson, chaque niveau influe sur le suivant.
Si, par exemple, je suis persuadé que le monde est dangereux, et que, à tout moment, quelqu’un peut rentrer chez moi pour me voler, je peux développer des Capacités de sport de combat, et avoir un Comportement plus agressif qui avoir une influence sur mon Environnement.
Dans cette échelle des « niveaux logiques », tu as un lien direct entre l’Identité, l’Être, et le Comportement, le Faire.
Si tu prends une personne qui dit « Je fume », elle arrêtera plus facilement que si elle positionne comme identité « Je suis fumeur ». Cela se vérifie en accompagnement de l’arrêt du tabac.

Donc pour pouvoir influer sur les Comportements, il faut se situer aux niveaux supérieurs, sur les Croyances, l’Identité, le Sens. Qui l’on est va influencer nos comportements, c’est pour cela que je développe ce lien entre l’Être et le Faire.

Pour moi qui travaille sur l’Identité narrative des personnes, cela me parle !

Je veux bien le croire ! Cette échelle a été reprise par Robert Dilts, une des références de la PNL. Je l’utilise régulièrement. Lorsque tu parles des Valeurs à un pilote de 60 ans, c’est une question qu’il ne s’est souvent jamais posée. Cela les bouscule et c’est important de montrer en quoi ces niveaux logiques influencent les comportements.

Nous avons surinvesti la technique, la technologie, le progrès, finalement, en occultant finalement leur impact sur l’humain donc toutes ses approches encore récentes sont passionnantes. Dans l’aviation, vous avez ajouté des formations en compétences non techniques depuis quelques années, n’est ce pas ?

Il y a toute une série d’accidents d’aviation dans les années 70, dont celui, célèbre, de Tenerife, qui a fait 583 morts. La compagnie United Airlines a mandaté la NASA pour enquêter sur ces accidents. Ils ont également mis des équipes dans des simulateurs de vol face à des situations identiques et en analysant les particularités des fonctionnements d’équipages de ceux qui s’en sortaient le mieux, ils ont constaté que plus de 70% des accidents étaient dus à des dysfonctionnements d’équipage.
Ils ont alors développé les formations CRM aux Etats-Unis dans les années 80. Elles ont connu un grand succès et sont devenues obligatoires dans la décennie suivante. Air France s’y intéressait déjà depuis plusieurs années mais elles ont été mises en place en Europe en 1999.
Il y a des exemples qui viennent du nucléaire, de la pétrochimie et de la santé dans mon livre qui illustrent que les problèmes sont les mêmes partout. Dans les entreprises dans lesquelles il n’y a pas d’enjeux de vie humaine, ces problèmes sont aussi présents même si les conséquences sont différentes. La Société Générale a perdu 5 Mds d’€ il y a quelques années à cause de problématiques similaires.

Dans la conclusion de mon livre, je parle de résilience. Un individu capable de prendre en compte la façon dont il fonctionne sera plus résilient. Il gérera mieux le stress, se mettra moins de pression aussi, et sera plus efficace. Si tous les individus au sein d’un collectif ont réussi à développer ces compétences à titre individuel, et qu’en plus ils ont pu développer des compétences en communication, leadership, prise de décision, etc, leur équipe sera plus résiliente. Et si tu transposes cela au sein d’une organisation, auprès de l’ensemble des collaborateurs, là où il y a souvent dans les strates hautes, des technocrates qui n’ont plus aucune connaissance du terrain, l’entreprise sera plus résiliente.

Nous retrouvons la nécessité de la vue d’ensemble.

Tout à fait. Les trois bénéfices lorsque tu implémentes cela à grande échelle, au sein d’une équipe, d’une unité, d’un service, d’un club, sont : le bien-être individuel du collaborateur, la performance d’équipe – à l’hôpital la performance n°1 est la sécurité des patients – et la performance économique. Tu gagnes en temps, en engagement, en motivation.

Il y a un essoufflement des organisations en raison de fonctionnements désuets, autour de l’ego d’un seul, de règles immuables ou de la seule performance, et d’après Frédéric Laloux, Reinventing organizations, les entreprises dites « opales » où chacun à un rôle qu’il choisit d’endosser et non pas un poste sont la prochaine étape de l’humanité. Nous n’aurons pas le choix. Grâce à ce changement de paradigme, et à cette responsabilisation individuelle, il y a des organisations comme une fonderie en Picardie qui avec un investissement de l’ordre de 1%, ont réalisé une marge de 30% supplémentaires.

Gladiator, de Ridley Scott

Quels sont les personnalités ou personnages de fiction qui t’inspirent ?

Brené Brown, Stephen Covey et Simon Sinek.
En fiction : Gladiator. Pour la dimension leadership. J’utilise régulièrement en formation la scène de la bataille initiale contre les Germains dans laquelle le personnage Russell Crowe harangue ses cavaliers.

Je pensais te demander de conclure sur l’engagement.

Pour être engagé, nous avons besoin de nous sentir « acteur ». La confiance, la responsabilisation, l’autonomie, tout en respectant un cadre avec des missions et des valeurs clairement définies, cela fonctionne.

Avec Bernard Anselem, Guillaume-Pellet Bourgeois et toi, j’ai l’impression d’avoir visité, sous différents angles, le sujet de la nécessité de la connaissance de soi et de son fonctionnement pour un mieux-être et une meilleure performance individuelle et collective.

Si nous parvenons aux mêmes conclusions, la question n’est plus de savoir est-ce ce qu’il faut faire, mais comment et quand on le fait ?

Merci Guillaume.


Pour te contacter, te lire :
http://tirtiaux.com/
https://www.linkedin.com/in/guillaume-tirtiaux-72273492/
Mieux réussir ensemble, de Guillaume Tirtiaux. Editions EdiPro.
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email