Maryna, rencontrée en 2023 dans le Programme Etudiants Réfugiés de l’Ecole des Ponts Paris Tech.
Tu veux bien te présenter ?
Je m’appelle Maryna Fediukovych. Un nom Bielorusse, celui de mon grand-père. Tout le reste de ma famille est Ukrainienne. J’ai 34 ans. Je suis Ingénieure.
D’où viens-tu ?
Du sud de l’Ukraine, Berdiansk à côté de la mer d’Azov. A plus de 3000 km d’ici. Aujourd’hui ma ville est occupée par la Russie.
Quand es-tu arrivée en France ?
En mars 2022.
Quand et comment as-tu pris la décision de quitter ton pays ?
C’était la 2e semaine après le début de la guerre et de l’invasion russe. Avec ma famille, nous nous sommes retrouvés dans une ville occupée. Nous avons pris la décision de partir tous ensemble mais les zones d’évacuation étaient fermées. Après un mois, nous avons pu quitter Berdiansk avec ma mère Tatiana, 63 ans, mon frère Anton, 33 ans, sa femme Tatiana, 34 ans, leurs enfants Dima, 5 ans, et Lisa, 14 ans.
Nous avons trouvé refuge chez des amis dans l’Ouest de l’Ukraine.
Je suis la seule à être partie pour la France avec ma copine d’école Nadia, 32 ans, ses enfants, Dima, 12 ans et Sonia, 3 ans. Leur père a pu les rejoindre en France après quelques semaines.
Pourquoi la France ?
J’avais des amis en France, à Toulouse, et je voulais être en sécurité. J’ai pensé que c’était seulement pour deux semaines et que je pourrais revenir en Ukraine.
J’ai pris ces deux photos avec moi lorsque j’ai quitté ma maison. C’est ma famille.
Quel a été ton parcours pour venir en France ?
J’ai passé la frontière polonaise à pied. La queue était énorme, peut-être 1000 personnes.
Une amie Ukrainienne vivant en Pologne est venue nous chercher. Elle nous a conduit à Wroclaw. Nous avons passé la nuit dans la voiture.
Là, des bénévoles nous ont indiqué un bus qui allait jusqu’en France, mais seulement jusqu’à Béziers.
Grâce à une Ukrainienne sur place, et aux bénévoles, on nous a laissé monter dans ce bus. Le trajet a duré 5 jours.
Une fois à Béziers, cela a été compliqué. Ma copine était très stressée d’être à l’étranger avec ses enfants. Elle était inquiète de tout dans ce nouvel environnement.
On a trouvé la gare rapidement. On devait avoir des billets gratuits mais on ne parlait pas Français et la dame de la gare ne parlait pas Anglais. Je pensais que tout le monde parlait anglais. Un couple un peu âgé parlant anglais m’a aidée à expliquer et demander des billets.
Le problème est que nous n’avions pas de papiers internationaux, sauf moi. Il fallait traduire les noms, les prénoms, etc. On n’a pas le même alphabet. Notre alphabet est cyrillique.
Grâce à l’Anglais, que j’ai amélioré depuis que je suis en France, sans parler Français, je pouvais quand même lire les mots. La prononciation reste compliquée.
Je suis en train de chercher un prof de Français pour travailler la prononciation.
Je trouve que tu as un très bon niveau de langue pour quelqu’un qui est en France depuis tout juste deux ans !
J’ai souvent regardé Top chef avec ma famille d’accueil et ça m’a beaucoup aidé pour le Français même si ce n’était pas l’objectif. Les mots, les conversations sont faciles. J’ai bien développé mon vocabulaire sur les légumes 😊.
Où avez vous vécu à Toulouse ?
Notre ami de Toulouse est venu nous chercher avec le train et puis nous sommes partis à St Sulpice sur Lèze. Il nous a fait enregistrer à la Mairie. On nous a trouvé une famille d’accueil pour tous les quatre. Il faisait nuit, il était 23h ou minuit.
Cette famille, c’est Séverine et David, ils ont la cinquantaine.
Les grands-parents de David étaient Espagnols et ont dû quitter l’Espagne à cause de Franco.
Je suis restée chez eux six mois. Un mois pour mon amie et ses enfants, jusqu’à l’arrivée de son mari. Ils ont ensuite déménagé et pu obtenir un logement social sur place.
Syrus et Madu, les chevaux de Séverine et David.
Avez-vous pu trouver du travail ?
Mon amie fait du ménage à temps partiel et son mari a trouvé un travail dans la construction, sur les chantiers. Avec les enfants à la maison et la barrière de la langue, elle n’a pas pu trouver autre chose.
En Ukraine, il était soudeur et elle, économiste.
Je crois que j’ai eu la meilleure famille d’accueil ! Séverine et David sont des personnes très gentilles, compréhensives, un peu comme une nouvelle famille. Ils m’ont aidé à tout faire. Tout l’administratif, mon CV, à chercher du travail, à apprendre le français.
J’ai pu travailler au bout de trois mois, quand j’ai commencé à comprendre la langue. J’étais préparatrice de commandes dans une entreprise de fleurs artificielles. C’était un travail saisonnier pour préparer la fin d’année.
Le Jardin des Plantes à Toulouse.
Je suis toujours impressionné par les jardins français.
Ils sont tellement beaux !
Comment as-tu découvert l’existence du Programme Etudiants Réfugiés de l’Ecole des Ponts ?
En allant sur Instagram. J’ai vu qu’on proposait des cours de Français Langue Etrangère pour les étudiants ingénieur.
Je me suis dit que je devais essayer et envoyer mon dossier. Il fallait avoir moins de 35 ans, une formation en ingénierie, un niveau de Français A2.
J’ai un diplôme d’Ingénieure en Génie civil depuis 2011, un niveau Bac+5 ici.
Pour obtenir le niveau A2, j’ai fait des exercices sur la plateforme Busuu et suivi des cours donnés par des bénévoles trois fois par semaine.
Quand j’ai commencé à travailler, ce n’était plus possible avec les horaires.
J’ai voulu essayer les cours de Français avec Pôle emploi mais le cours était d’un niveau plus bas et il commençait en même temps que le programme étudiants réfugiés de l’Ecole des Ponts.
Une personne du Programme Etudiants Réfugiés a essayé de m’appeler mais je n’osais pas répondre au téléphone car je parlais mal le français. Ils m’ont alors envoyé un mail disant qu’ils considéraient que je n’étais pas intéressée.
C’est Séverine qui a fini par appeler Cédric, le Responsable du programme, pour lui dire que je n’osais pas parler au téléphone.
On a fait un entretien vidéo et il m’a confirmé que j’étais la 27e et dernière étudiante du programme. Il m’a dit qu’il y avait une autre Ukrainienne qui venait de Toulouse.
C’est comme ça que j’ai rencontré Olha, grâce au groupe Ukrainien Toulouse sur Telegram. Un groupe utile pour les échanges d’informations, notamment pour l’administratif en France.
Le concert de Morcheeba, où Séverine et David m’ont invitée le jour du déménagement de Nadia et sa famille.
Comme j’adore ce groupe depuis mes études, je me suis dit que c’était bon signe et que tout irait bien.
Cela a été difficile de quitter Toulouse pour Paris ?
J’avais peur de quitter cette maison calme. J’avais peur de me perdre à Paris. Les changements font toujours peur mais je savais que c’était une bonne opportunité.
Je savais que j’allais terminer ce travail de préparatrice saisonnière et devoir aller à Pôle emploi. Je savais que ce serait compliqué pour trouver un autre boulot. Avec les formations financées par le Pôle Emploi, il y a des stages obligatoires, beaucoup de promesses, mais ça ne fonctionne pas toujours, comme en Ukraine.
A Toulouse, on avait imprimé mon CV et on l’avait distribué partout dans les entreprises, les boutiques, etc. C’est comme ça que j’ai obtenu mon premier emploi dans l’entreprise de fleurs. Zara m’a contactée aussi mais j’avais déjà commencé dans les fleurs.
J’ai donné le contact à une autre Ukrainienne mais son niveau de Français n’était pas suffisant.
A Paris, le PER devait me trouver une chambre dans une résidence étudiante mais elle n’était pas prête à mon arrivée alors je suis allée dans une famille d’accueil à Asnières, 2 ou 3 semaines, chez Olivier et Stéphanie. Olivier, c’est mon parrain binôme au PER.
Je suis toujours en contact avec ma famille d’accueil, on a fêté Noël ensemble.
Grâce à eux j’ai vu les œuvres d’art les plus célèbres. Nous avons visité des musées, des châteaux autour de Paris, l’Opéra Garnier, etc. Ils m’ont aidée à me préparer aux entretiens, à résoudre les problèmes administratifs, à relire mes contrats, à déménager, quand j’ai trouvé un appartement. Ils m’ont toujours soutenue et je sais que je peux compter sur eux.
Avec Olivier, on a visité le château de Versailles.
Connaissais-tu déjà la France ?
Je n’étais jamais venue en France.
J’avais voyagé en Hongrie, en Grèce et en Russie.
J’ai de la famille en Russie. Je ne suis pas fière de ça. Mon oncle dans l’Oural près de Iekaterinbourg. Ma mère a des contacts avec lui, pas moi. Je ne peux pas. C’est un militaire civil retraité. Ma mère me dit qu’il est devenu militaire trop jeune. Il m’avait dit que la guerre Russie Ukraine n’arriverait jamais.
Quels étaient tes attentes, tes espoirs, lorsque tu as rejoint le Programme Etudiants Réfugiés ?
J’attendais juste d’apprendre la langue et d’avoir une aide administrative pour les étudiants et réfugiés. Je savais que faire cette formation m’aiderait à trouver un travail d’ingénieur.
Avant d’intégrer ce programme, j’ai retrouvé sur LinkedIn un étudiant Ukrainien que je connaissais. Je savais qu’il avait fait l’Ecole des Ponts après ses études. Il m’a orientée et encouragée à suivre cette formation.
La formation était très bien, nous avons tous progressé. C’était un bon niveau. Je n’avais pas l’impression de faire des études académiques, c’était de la conversation, c’était plus léger.
C’était comment d’être, au quotidien, avec d’autres réfugiés ?
Être avec d’autres étudiants réfugiés, c’était bien pour moi. Cela m’a aidée à sortir de l’isolement à comprendre que je n’étais pas seule à être perdue. Chacun a son histoire. On essaie d’améliorer notre situation.
Quel est ton meilleur souvenir dans ce programme ?
La fête de la galette des rois. On a passé un bon moment tous ensemble !
Pourquoi as-tu choisi le métier d’Ingénieure ?
Dans ma famille on a tous fait ça, et on a tous fait la même école.
Après le Programme Etudiants Réfugiés, j’ai trouvé un travail dans une entreprise de Consulting qui m’a envoyé travailler sur un projet de construction chez Disney. L’entreprise m’a contactée sur l’APEC. Je suis en CDI depuis l’été 2023.
Qu’est-ce que tu aimes dans ton métier ?
Voir un résultat exister, faire partie d’une réalisation concrète, physique.
C’est une photo du village où ma famille habite.
J’ai appris que tu étais admise dans un Master de l’Ecole des Ponts, pourquoi avoir finalement fait le choix de ce CDI ?
L’hiver 2023, je suis allé voir ma famille en Ukraine. J’étais très contente de les voir. Ils habitent dans un tout petit village en ce moment. C’était difficile là-bas en raison des bombardements constants des infrastructures énergétiques. Il y avait des coupures de courant fréquentes. Et quand il n’y a pas d’électricité, il n’y a pas de lumière, pas de réseau, pas de chauffage. Mais malgré cela, j’ai réussi à profiter du temps passé avec mes proches.
A mon retour à Paris, j’étais déprimée. Je n’avais plus l’objectif du futur, j’étais perdue.
Cédric m’a parlé de l’opportunité d’un Master spécialisé en BIM. Je me suis renseignée et nous avons décidé d’essayer de postuler. Cela m’a donné un nouvel objectif. Cédric m’a aidé à monter un dossier, à rédiger une lettre de motivation. On a enregistré une vidéo de présentation avec Mensure, une étudiante du programme. J’ai passé un entretien et j’ai été acceptée.
Cette formation prévoyait un contrat de professionnalisation. Donc je devais trouver une entreprise en alternance.
Mais pendant mes études, dans la résidence étudiants où je vivais, je partageais une chambre avec une autre fille. Et c’était compliqué entre nous. Trop de bruit, trop de téléphone, trop de visites.
Mon objectif était de louer un appartement le plus rapidement possible.
Alors j’ai décidé de trouver un travail.
J’ai fait beaucoup d’entretiens. Et, un jour, j’ai reçu une offre d’embauche en CDI.
Au même moment, j’ai eu l’opportunité d’un contrat de professionnalisation pour le master, grâce à mon binôme, qui a fait passer mon CV aux RH de Vinci Energies.
J’ai dû quitter le programme avant la fin parce que j’avais commencé à travailler, mais j’ai quand même passé les examens de langues (et j’ai eu de très bons résultats).
Mon plan était de continuer à travailler comme consultante jusqu’à l’automne, de louer un appartement, et de commencer ma formation en Master et mon contrat chez Vinci.
Mais en France la location n’est possible que si tu as un contrat en CDI validé. Comme j’avais seulement une période d’essai, cela ne satisfaisait pas les propriétaires.
J’ai envoyé des dossiers, visité des appartements, reçu des refus. J’ai perdu l’espoir.
En fait, la raison pour laquelle j’ai pris la décision de ne pas reprendre mes études, c’est parce que j’ai su qu’en quittant le CDI pour un contrat de professionnalisation, avec une nouvelle période d’essai, ce serait encore plus difficile de trouver un appartement à moi.
J’ai commencé à travailler en avril 2023 et je n’ai réussi à trouver une location qu’en novembre, malgré tous mes efforts.
Je me souviens qu’après la première visite dans cet appartement, je suis allée me promener en ville, je me suis assise au bord du lac et j’ai imaginé que je vivrais ici.
J’ai fait ce vœu de tout mon cœur et une semaine après, il s’est réalisé.
Le lac
Quelles sont les grandes différences entre les Français et les Ukrainiens ?
J’ai remarqué la façon dont les parents parlent à leurs enfants. Ils donnent plus de liberté de choisir et se tromper à leurs enfants. J’ai vu cela dans mes familles d’accueil.
Quel est ton mot français préféré ?
Couvercle. C’est marrant à entendre.
Et le mot Heureux, pas facile à prononcer.
Qu’aimes-tu faire ?
J’ai fait des muffins aujourd’hui, j’étais contente.
Qu’est ce qui te plaît ici ?
Je ne m’inquiète pas trop ici, ça me rassure. Ma plus grande peur était que la guerre s’étende.
En France, j’aime la manière d’écrire les mails, la langue écrite. Je ne peux pas encore faire pareil mais ça viendra.
Qu’est ce qui te déplaît ?
L’administration, c’est horrible. Pire qu’en Ukraine ! Même pour les gens qui travaillent dans les Administrations parfois.
Qu’est ce qui t’a le plus surpris ou marqué depuis ton arrivée en France ?
C’est qu’il y ait une heure pour manger, et que c’est strict. En Ukraine, on mange quand on a faim. Les restaurants sont ouverts toute la journée.
Où vis-tu ?
A Bussy st-Georges.
As-tu des amis ici ?
Pas trop, c’est compliqué. Je trouve que j’ai encore du mal à m’exprimer.
Qu’est-ce que tu lis ?
L’intelligence émotionnelle de Daniel Goleman, pour améliorer mes relations.
Et j’ai aussi envie de mentionner ce livre qui m’a aidé à accepter ma situation : Radical forgiveness de Colin Tipping.
Qu’est ce qui te manque le plus de ton pays d’origine ?
L’impression d’être chez soi. Ma famille me manque aussi mais je ne me donne pas la permission d’y penser, c’est trop douloureux.
Pendant ces deux années, je suis allé voir ma famille en Ukraine deux fois. Je sais que j’ai de la chance et que ce n’est pas le cas de tous les réfugiés.
A little chaos avec Kate Winslet, ma mère aime ce film.
Si la guerre se terminait maintenant, tu retournerais y vivre ?
Non, plus maintenant. Ce n’est pas si simple. Je ne veux pas recommencer encore. Je veux garder ma stabilité. J’ai mis deux ans pour y parvenir.
Fréquentes-tu d’autres Ukrainiens en France ?
Non. J’ai gardé contact avec deux étudiantes du PER : Mensure, qui est Kurde, et Heam, qui est Syrienne.
Qu’as-tu envie de faire de ta vie ?
Je n’arrive pas à me projeter pour le moment. Je vis au jour le jour.
Que penses-tu des Français ?
Il y a beaucoup de gens très différents. Dans mon travail, il y a plein de nationalités différentes, Royaume Uni, Haïti, ….
Quel conseil donnerais-tu à une Française, un Français qui doit s’exiler ?
Un conseil que je me donne à moi : il faut faire quelque chose !
Tout ce qu’il faut pour améliorer sa situation.
J’étais pleine de doutes, je le suis toujours mais je fais les choses. J’agis.
J’ai fait beaucoup d’entretiens ici. J’ai pensé que je n’en était pas capable et puis je l’ai fait.