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Portrait d’exil : Mikail

Bonjour Mikail, d’où viens-tu ?

J’ai 29 ans. Je viens du Kurdistan, au sud-est de la Turquie.
Le Kurdistan est une région historique et culturelle du Moyen-Orient qui traverse 4 pays, du sud-est de la Turquie à l’Ouest de l’Iran, en passant par le nord de l’Irak et le Nord Est de la Syrie.
Je suis arrivé en France en 2020.

Pourquoi as-tu quitté le Kurdistan ?

En raison de mon activisme politique.
Ma langue maternelle, ma culture, mon histoire sont interdites en Turquie. Je défends l’autonomie de la région Kurde en Turquie. Cela fait 40 ans que l’on se bat pour une solution politique.

J’ai défendu les droits de l’homme dans trois associations de lutte contre l’assimilation linguistique et culturelle des Kurdes.
L’Association de Solidarité de Rojava (Kurdistan syrien), l’Association des Etudiants libres de Batman (Kurdistan turc), et le Conseil de surveillance de Fédération des associations démocratiques de la jeunesse, dont j’étais le Président

Avec une dizaine d’amis, nous avons été envoyés en prison pour « manifestations contre l’état Turc ».
Certains ont pris 11 ans de réclusion, moi 2 ans. Une arrestation préventive pour laquelle j’ai passé 2 ans à la prison de Diyarbakir.

J’ai été remis en liberté avant le procès . L’état réclamait 25 ans de prison contre moi. J’ai été condamné à 12 ans de prison et la procédure court toujours.

Arrestation lors d’une manifestation contre les attaques d’ISIS en Syrie.

J’ai fui la Turquie avant le verdict, avec un faux passeport.
J’ai pris l’avion pour le Maroc, puis le Mexique, l’Argentine, le Brésil. Aucun de ces pays ne m’a offert l’asile politique
Alors, j’ai pris un billet pour Paris. Je suis arrivé pendant la pandémie. Au bout d’un an, j’ai eu un entretien à l’OFPRA et obtenu le statut de réfugié politique en 2021.

Peux-tu m’expliquer la situation des Kurdes en Turquie ?

Congrès de la jeunesse démocratique (DEM-GENC). Université de Batman

Il faut faire un détour historique et géopolitique.
Avant 1923, le Kurdistan était un territoire autonome de l’empire Ottoman et la Turquie n’existait pas.

Les Kurdes se sont battus pendant la 1e guerre mondiale pour mettre fin au pouvoir ottoman. Les anglais leur avaient promis l’indépendance.
Le Traité de Sèvres signé par les alliés et l’empire Ottoman en 1920 mentionnait la création d’un état Kurde autonome. Il n’a pas été ratifié et c’est le Traité de Lausanne , en 1923, qui a décidé d’un nouveau tracé géographique et partition de l’ancien empire dans lequel l’état Kurde avait disparu.  
Le Kurdistan détient des ressources importantes, notamment en eau et en pétrole.

Notre territoire a alors été divisé entre 4 pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. La situation administrative et politique est différente dans chacun de ces pays.

Il faut imaginer la situation : des terres qui ne nous appartiennent plus, l’interdiction de parler sa langue, de partager sa culture, des familles séparées par des frontières. Notre identité n’est reconnue par aucun de ces états.
En 1921, Atatürk, le président Turc avait promis l’autonomie mais après la signature du traité de Lausanne, il n’en a plus été question et la population s’est révoltée. Les massacres de Kurdes ont commencé.

1926, 1937-38, dans la province de Dersim …. Tous les 10 ans, des massacres de Kurdes ont lieu avec des mouvements de protestations soutenus par l’ensemble de la population.

En 2015, c’est le génocide de Rojava, au cours duquel les Kurdes ont du affronter l’état Turc et Daesh. Avec notre association, nous avons pu fournir une aide matérielle et psychologique aux citoyens.

Kurdistan

L’état Turc est un état fasciste. On pourrait juste dire étudiant étranger ! Environ 13 millions de kurdes vivent dans le Kurdistan turc, sans le droit à une éducation qui les respectent dans leur histoire et leur culture. Il n’existe pas de droits de l’homme pour les Kurdes.

J’ai travaillé à Antalya pendant quelques temps. Avec ma mère au téléphone, je parlais dans ma langue maternelle. Mes collègues, mon patron, m’ont fait savoir que c’était interdit.

Nous sommes environ 22 millions de Kurdes en Turquie, soit 26% de la population.
Ce que nous voulons, c’est la liberté pour les prisonniers politiques, l’éducation dans notre langue maternelle et l’autonomie de la région.

Ta famille est restée là bas ?

Mes parents vivent toujours en Turquie. Mes sœurs et mes frères aussi, à Batman. Ils vont bien.

Où vis-tu depuis ton arrivée en France ?

Depuis quelques mois, en banlieue, à Noisy le Grand. Mais avant, j’ai vécu à Paris entre 2020 et 2024.
J’ai beaucoup aimé le quartier du 5e arrondissement, près du Panthéon.
Le 10e arrondissement, c’est le quartier Kurde. Il y a une association qui aide les Kurdes à leur arrivée en France, c’est le Conseil démocratique kurde en France.

Je travaillais là-bas comme bénévole lorsque 3 personnes de l’association ont été attaquées et tuées le 23 décembre 2022 par un français d’extrême droite.
L’assaillant motive son attaque par le fait qu’il s’agissait de personnes étrangères mais c’est un acte politique. Ces attaques sont probablement commanditées par les turcs…

Tu as rejoint le Programme Etudiants Réfugiés de l’Ecole des Ponts l’an dernier.

Oui, pour les cours de langue et pour poursuivre mes études. C’est plus qu’un programme linguistique, c’est un programme d’insertion. J’aime la communication, l’apprentissage de la culture française.

Tu m’as dit être gêné par le mot « réfugié » ?

Quand on dit le mot réfugié, ça change quelque chose dans le regard de l’autre. Il y a déjà du jugement. Ce sont les médias qui transforment le sens des mots.
L’université de la Sorbonne utilise le mot exil pour parler d’étudiants dans ma situation, pourquoi les autres ne le font-ils pas ?
On pourrait aussi dire étudiant étranger.

Est-on moins seul avec d’autres exilés ?

C’est très important d’être avec d’autres exilés. Nous nous comprenons bien. L’interculturalité est importante. Nous créons des liens, partageons des souvenirs de nos vies d’avant. C’est comme une famille.

Plus important encore : le ping-pong ! On y a joué chaque jour pendant mon année dans le programme de l’Ecole des Ponts Paris Tech😊.

As-tu créé des liens avec d’autres Kurdes ?

Oui, c’est très important pour moi.
Quand je suis arrivé Gare de l’Est, j’ai passé la nuit dans la gare puis 10 jours dans la rue. Je ne connaissais personne, j’étais perdu.

J’ai d’abord demandé de l’aide à la Croix Rouge. Ils n’ont pas voulu m’aider, m’ont répondu qu’ils n’avaient pas de budget.
C’est le Kurde que j’ai ensuite croisé dans la gare de l’Est qui m’a envoyé vers l’association kurde du 10e. J’ai ensuite travaillé comme bénévole pour cette association, et comme journaliste pour l’ANF, pour écrire un article sur des manifestations en faveur des droits des Kurdes.

Festival de la jeunesse, Lac Hazar (Elazig)

As tu identifié des différences importantes entre les Français et les Kurdes ?

Je ne vois pas de grandes différences. Les Kurdes comme les Français adorent le fromage et le vin.

T’es-tu senti bien accueilli en France ?

J’ai toujours regardé la France de loin et apprécié ses bâtiments, sa culture.
Je connaissais l’histoire de la Révolution française. J’avais lu François Furet et Denis Richet. Des lectures qui ont motivé ma décision de venir dans ce pays.

En France, il y a des gens très sympathiques et d’autres qui s’énervent vite.
Ce qui est difficile ici, ce sont les procédures administratives.
Les droits de l’homme existent toujours même si j’ai l’impression que c’est en train de changer.
Je n’aime pas le racisme. Le racisme est présent dans tous les pays.

Maintenant que tu as un statut et des papiers, te sens-tu en sécurité ici ?

Non. Certains Kurdes ont été renvoyés en Turquie et emprisonnés.
Comment réfléchir sereinement à l’avenir, à sa situation professionnelle, quand on ne sent pas en sécurité ?

Que veux tu faire de ta vie ?

Visite du chantier SNCF – La Défense.

Des études, un Master. Je veux terminer ma carrière académique inachevée, trouver un travail. Je veux signer de grands projets sur l’AI parce que j’ai développé une application.
En 2018, j’ai vendu une application qui suit le trafic aérien, en Allemagne. Je continue à l’améliorer.
Je ne sais pas encore pour le reste, le travail d’abord.

J’ai postulé à un Master de Génie Civil en alternance en île de France. J’ai un grand projet sur les systèmes de construction de bâtiments autonomes et intelligents, grâce à l’informatique. Je veux pouvoir combiner mes compétences.
Je préfère le Génie civil parce que mon père avait envie de ce métier pour moi.

Où voudrais-tu faire ton alternance ?

J’aimerais faire mon alternance dans une entreprise de systèmes de construction.

Qu’est-ce que tu apprécies dans ta vie ici ?

Depuis que je suis ici, je suis toujours surpris. Le Louvre, le Panthéon, sont des miracles.
En 3 ans, j’ai visité 15 fois le musée du Louvre, le portait de Mona Lisa évidemment, et aussi le musée Guimet des Arts Asiatiques
J’ai aussi mon vélo, c’est ma vie, mon meilleur ami. Il me rend libre. Et puis il y a le ping-pong, le basket, les voyages.

Qu’est ce qui te manque de chez toi ?

Ma famille, mes amis. Nous échangeons souvent en visio ou au téléphone.

Quel est ton plat préféré ?

La pizza 4 fromages. Je suis végétarien depuis quelques années, c’est idéologique.

Quel est ton mot préféré ?

Azadi.
Cela veut dire liberté en français. C’est aussi mon mot français préféré.
Le mot détermination est aussi important pour moi.
Elle m’a été utile pour trouver un logement ici. C’est compliqué, surtout pour un handicapé.

En Turquie, on m’a dit que je ne pourrais plus jouer au basket, jouer au vélo, nager, mais tout ça je l’ai fait quand même. Je me suis jeté à l’eau avec détermination.
Je refuse de me définir par mon handicap. Mon handicap est un avantage. Chaque obstacle est une opportunité déguisée. Cela me donne de la force.

Fête de Newroz.
Photo Courrier International.

Qu’as-tu envie de nous partager de ta culture ?

La fête de Newroz. Une fête importante dans la culture de la Mésopotamie. Elle a lieu le 21 mars. Elle représente le début du printemps, le renouveau. On grimpe dans les montagnes pour allumer un feu. Le feu symbolise la renaissance de la nature.

Quel conseil donnerais-tu à une Française, un Français qui doit s’exiler ?

Je lui conseillerais de se préparer pour faire face aux obstacles.
La recherche d’un logement, la compréhension des lois du pays, des coutumes, la possibilité d’un travail.

Merci Mikail pour ton témoignage et bonne route dans tes projets.

Pour aller plus loin :
https://www.institutkurde.org/
https://www.monde-diplomatique.fr/mav/169/PIRONET/61239
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_peuple_kurde

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