D’où viens tu Petr ?
De Moscou en Russie. J’ai 35 ans.
Tu as souhaité l’anonymat pour cette interview, pour quelle raison ?
Je n’ai rien à cacher et j’ai envie de partager mon parcours. Le choix de rester anonyme, c’est pour ne pas mettre en danger mes amis en Russie.
Quelles circonstances t’ont poussé à quitter ton pays ?
J’ai du quitter mon pays pour des raisons politiques. La mobilisation pour la guerre contre l’Ukraine a commencé le 21 septembre 2022. J’avais peur que les frontières se ferment pour les hommes et qu’ils me forcent à partir au combat.
Je suis contre la guerre, et celle là en particulier. Je ne suis pas d’accord avec la politique de notre gouvernement.
La guerre, ce sont des destructions et du chagrin. Notre pays est devenu totalitaire et je ne voulais plus vivre dans un pays totalitaire.
Cela devenait aussi dangereux pour moi d’y rester, car, depuis 2017, je protestais contre Poutine, dans le mouvement de Navalny.
Entre les protestations et le refus de partir en guerre, je risquais la prison.
Que penses-tu de la position de l’Europe face à ce conflit ?
L’Europe se fout de la guerre. Elle a peur de perdre sa place, de dépenser beaucoup d’argent pour l’armée. Ce serait pourtant logique d’aider davantage car cette guerre est un désastre pour l’Ukraine, pour l’Europe, et pour la Russie.
Quelle vie menais-tu à Moscou ?
Je travaillais depuis cinq ans dans un bureau d’architecture. J’ai une formation d’ingénieur en génie civil. Je dessinais des parcs, des rues, des bâtiments historiques. J’avais envie de changer de voie pour travailler dans le secteur de l’énergie.
Je voyageais souvent, deux ou trois fois par an. Je vivais avec ma copine, mais nous nous sommes séparés six mois avant mon départ.
Pourquoi un départ pour la France ?
Avec mon ami d’enfance et sa copine, nous avons décidé de quitter Moscou tous les trois. Elle est médecin et risquait d’être mobilisée comme nous.
Beaucoup de gens ont quitté la Russie au moment de la mobilisation, plus de 1 million de personnes.
Eux sont partis en Inde et moi, j’ai décidé de rejoindre ma sœur qui vit en région parisienne depuis 2007.
J’étais déjà venu en France à six reprises, en touriste. Pour moi la France est un pays de liberté. Nous sommes partis le 24 septembre 2022.
Comment avez-vous réussi à quitter la Russie ?
J’ai préparé un itinéraire pour aller en Géorgie. Nous avons pris le train pour Krasnodar, ce qui représente un jour de voyage et nous avons ensuite pris un taxi pour aller à la frontière de Géorgie à Oseita. C’était difficile car seules les voitures avec une plaque immatriculation locale étaient autorisées à passer.
Nous avons trouvé une voiture avec des plaques locales. J’avais l’impression que nous étions comme les Mexicains qui se cachent pour passer les check points pour aller aux Etats-Unis.
Il y avait une file de 20 km environ devant nous pour pouvoir franchir la frontière. Des voitures, des motos, des piétons.
Nous avons acheté des vélos et avons fait le chemin avec nos valises vers la frontière. Il nous a fallu plus de 24h pour traverser. Arrivés au poste de contrôle nous avons dû attendre plusieurs heures. Il y avait plusieurs kilomètres de no man’s land, un chemin de montagne juste après le check point, et de nombreux camions, aux côtés desquels il fallait marcher. 30 km séparent les deux check points.
Quand la nuit est tombée, nous étions sous un tunnel, sale, pas ventilé, au milieu de la foule. Chacun attendant patiemment son tour. Des volontaires aidaient à réguler la foule.
Nous avons traversé ce tunnel et chemin jusqu’au check point Géorgien. Là il y avait plein de journalistes, nous étions très fatigués et n’avons pas souhaité répondre à leurs questions. Nous avons vécu deux jours dans une maison louée à la frontière.
Nous sommes ensuite partis à l’aéroport de Tbilissi et j’ai pris un vol pour Paris, pendant que mes amis s’envolaient vers l’Inde Comme d’autres, ils sont revenus à Moscou. Il n’est pas simple de partir vivre ailleurs.
Une fois à Paris, qu’as tu fait ?
Une fois à Paris, j’ai pris le métro pour l’ouest parisien. J’ai rejoint ma sœur, son mari et ses deux enfants. J’ai vécu chez eux six mois. J’ai fait une demande d’asile auprès de l’OFPRA.
J’ai continué mon job en télétravail pendant cinq mois, sans en parler à mon employeur. Lorsqu’ils ont résilié le télétravail, j’ai démissionné.
Un mois plus tard, j’ai reçu l’accord de l’OFPRA et obtenu le statut de réfugié.
En mai 2023, J’ai trouvé un programme pour apprendre le français et continuer mes études. J’ai été accepté dans un Master dans le secteur de l’énergie mais je n’ai pas trouvé d’alternance.
Alors on m’a proposé de suivre quatre des cours du programme du Master tout en améliorant mon français. J’ai maintenant un niveau suffisant pour trouver une alternance. Je n’ai pas encore eu d’entretiens, j’envoie des CV et des lettres de motivation. Je sens que maintenant c’est plus facile.
Où aimerais-tu travailler ?
Dans une entreprise dans le secteur des énergies renouvelables.
Tes parents sont restés à Moscou ?
Oui. Mon père est malade. Mon père a été opéré d’un cancer avec succès il y a quelques semaines, même si cela n’a pas été sans conséquences.
On se parle presque chaque jour. Ma mère viendra bientôt nous rendre visite. C’est difficile de voyager. Il n’y a pas de vol direct. Il faut passer par la Turquie, la Géorgie ou l’Arménie.
Tu m’as dit avoir logé chez des Ukrainiens en France …
Je n’ai pas souhaité rester trop longtemps chez ma sœur et j’ai trouvé une chambre dans une maison à Orgeval. J’ai trouvé cette opportunité dans un groupe Telegram.
J’y ai vécu avec un Russe et un Ukrainien pendant quelques mois. Le Russe attendait réponse de l’OFPRA pour obtenir le statut de réfugié.
Le propriétaire était Ukrainien. Son frère habitait au 1er étage. Au 2e étage, vivaient deux frères Russes qui avaient aussi quitté la Russie pour des raisons politiques. L’un des deux est retourné en Russie, il a été mis en prison. C’est sa chambre que j’ai récupérée.
J’y ai vécu environ quatre ou cinq mois. C’est facile, nous parlons la même langue et le propriétaire comprenait très bien que l’on soit contre la guerre.
Si je retournais en Russie aujourd’hui, j’aurais sans doute beaucoup de problèmes.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, tu étais avec des étudiants de différentes nationalités et je te voyais souvent échanger avec un jeune Ukrainien.
Nous nous entendons bien, comme des amis. Et c’est beaucoup plus facile d’exprimer ses pensées en russe.
J’ai aussi trouvé intéressant de parler avec les autres étudiants d’autres nationalités et cultures. Il n’y a pas beaucoup de différences entre nous. On s’intéresse aux mêmes choses, aller au bar, jouer au ping-pong :). Aujourd’hui, nous avons fait un match de ping-pong, j’ai gagné avec un étudiant Irakien.
En combien de temps as-tu réussi à obtenir le statut de réfugié ?
Cela a été long. Environ six mois. Je suis reconnaissant à la France car elle n’est pas obligée de le faire. J’ai un titre de séjour pour dix ans.
Avec un test de Français B1 minimum et une situation stable, un emploi, je peux demander la nationalité Française. Il faut passer un examen sur l’histoire de France.
Je me sens redevable. Je veux travailler, faire quelque chose de positif. J’aimerais aider d’autres gens et me rendre utile comme bénévole mais je ne sais pas encore comment. Je dois d’abord trouver une situation stable. C’est ma priorité.
T’es-tu senti bien accueilli ?
Oui. Le plus difficile finalement pour le logement, cela a été d’habiter plusieurs mois en famille 😊
Que penses-tu de l’évolution de ton pays ces dernières années ?
Il y a une quinzaine d’années, la Russie était un pays plus ouvert et plus libre. Il n’y avait pas ces lois répressives qui ont été adoptées ces dernières années : loi contre les rassemblements, loi contre les LGBT, loi contre les médias et autres.
Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer qu’en Russie, en 2008, il y a eu des concerts d’Elton John et qu’en 2014, il y a eu les Jeux Olympiques de Sotchi. Au cours des années de règne du même président, les relations avec de nombreux pays se sont détériorées. J’espère que l’Europe et la Russie pourront redevenir des alliés.
Vois-tu des différences entre les Français et les Russes ?
Quelques différences, oui. J’ai l’impression que les Russes sont plus simples. Il n’est pas facile de se faire des amis en France. Peut-être la barrière de la langue ? Je ne sais pas.
Quel est ton mot français préféré ?
Putain ! Cela permet d’exprimer une émotion, comme avec Blyad’ en russe.
Un mot que tu aimes prononcer dans ta langue natale ?
Blin. C’est un mot que l’on utilise beaucoup. L’équivalent de l’expression Oh, la vache !
Où vis-tu aujourd’hui ?
Je vis dans une résidence universitaire. J’ai un petit appartement en banlieue parisienne. Ça coûte 310€ par mois. La CAF en paye une partie.
Lorsque je t’ai croisé dans une association, j’ai remarqué que tu ne voulais pas demander d’aide alors que ton ordinateur marchait mal, pourquoi ?
Il marchait quand même et je n’aime pas être dépendant d’autres gens, ou de la CAF pour me loger. J’ai toujours été indépendant. J’ai hâte de travailler et de ne plus avoir à être aidé.
Qu’est ce qui te manque de chez toi ?
Mes parents, mes amis, la ville de Moscou. L’hiver avec la neige. Le climat est le même que celui des pays du Nord de l’Europe.
Si la guerre prenait fin aujourd’hui, tu y retournerais ?
Non, j’ai décidé de construire ma vie ici pour le moment. Pour le futur, on verra.
Fréquentes-tu d’autres Russes en France ?
Oui j’ai quelques connaissances. J’ai des amis en Belgique, en Espagne, qui ont aussi quitté la Russie. J’ai un ami ici qui vient de Corée du Sud, je l’ai rencontré dans les cours de Français de l’OFII. J’ai aussi plusieurs amis dans mon groupe d’étudiants.
Qu’est ce qui est le plus difficile pour toi dans ce parcours d’exil ?
Chaque jour est difficile. L’immigration n’est pas recommandable. Chaque jour tu dois résoudre des problèmes différents. Maintenant je comprends que ma vie en Russie était très facile.
Ailleurs, tu dois parler avec des gens différents avec une autre langue. Maintenant, j’ose poser la même question dix fois ! Quand je parle au téléphone, je transpire. Les gens parlent trop vite, je dois leur demander de parler moins vite. Quelquefois, ils s’impatientent et raccrochent.
Qu’est ce qui te surprend ici ?
L’administration, les services, même le commercial. Je suis étonné de ces services souvent préhistoriques. Tu dois encore envoyer des lettres par courrier !
Qu’aimes-tu faire ? Quelles sont tes passions ?
J’aime la gym – musculation – c’est le mot qui me semble le plus ridicule en français. J’aime voyager, et manger. J’aime aussi faire de la peinture mais je n’en fais plus depuis deux ans.
Pourquoi as-tu arrêté de peindre ?
Je ne sais pas. Il faut acheter beaucoup de matériaux, prendre beaucoup de temps. J’ai peur d’avoir perdu mes compétences.
Je suis impressionnée par ton talent de peintre. Pourquoi les crânes ?
Beaucoup de peintres aiment ce sujet. Pour dessiner des visages, tu commences par l’anatomie. J’aime aussi dessiner les paysages.
Tu as voyagé un peu en France ?
Au nouvel an, nous sommes allés à Marseille avec des amis. Je n’ai pas aimé cette ville. Je l’ai trouvée assez sale. On a aussi attrapé le Covid ! J’ai le projet de faire le tour de la France. C’est un pays incroyablement beau avec beaucoup d’endroits magnifiques.
Que penses-tu des Français ?
Ils sont fiers de l’histoire et de leur culture, presque comme les Russes. La culture est très forte.
Ils sont très directs comme nous, un peu râleurs aussi. Moi aussi:)
J’aime l’art, l’architecture, la nature, la cuisine française.
Tu as des plats préférés ?
Le boeuf bourguignon et la blanquette de veau.
Qu’aimes-tu partager de ta culture ?
La cuisine et aussi l’histoire car il y a eu beaucoup de révolutions, de guerres, qui ont forgé notre nation. La 2e guerre mondiale, ça a été un événement majeur pour beaucoup d’entre nous, mon grand-père y a participé.
Quel conseil donnerais-tu à une Française, un Français qui doit s’exiler ?
Construis-toi une vie confortable, même petite. Essaie de faire les mêmes choses que chez toi pour ne pas devenir fou. Les habitudes soutiennent, comme le confort.