Sayed, rencontré en 2023 dans le Programme Etudiants Réfugiés de l’Ecole des Ponts Paris Tech.
Sayed, tu vis à Lille et étudies à Polytech Lille. Comment se passe ta vie dans le Nord ?
Les gens du Nord sont très sympas. On mange beaucoup de frites, on boit de la bière, pas du vin.
Depuis que je suis arrivé en France j’ai appris plein de choses !
1. La langue : c’est elle qui nous permet de nous comprendre.
2. La culture française : les Français lisent beaucoup. Ils sont plus ouverts qu’en Asie centrale, une culture plus intellectuelle. Je vois les enfants, les adultes lire, chez eux, dans la rue, dans les transports. Cela permet aux gens de progresser et de s’ouvrir aux autres.
3. La solidarité : l’accueil pour les exilés qui fuient la guerre. Les Français partagent ce qu’ils ont appris. Dans mon quartier à Lille, au début de l’hiver tout le monde s’est mobilisé pour aider les migrants qui dormaient dehors. Des migrants du Sénégal, du Cameroun, de la Guinée, accueillis dans les paroisses la nuit pour les protéger.
4. Les Français travaillent dur et ont une discipline incroyable.
Lorsque je t’ai rencontré, c’est ton éloquence et ton goût pour la poésie qui m’ont marquée. Qu’aimes-tu lire ?
J’ai lu plein de romans. Je lis La vie devant soi de Romain Gary en ce moment. Avant, La comédie humaine de Balzac. J’aime aussi Zola, Camus, et la poésie.
D’où viens tu Sayed ?
De Kaboul, Afghanistan. Je suis en France depuis début 2022.
Je suis parti tout seul vers l’Europe, j’avais 23 ans.
Pourquoi as-tu pris la route de l’exil ?
Les Talibans.
Là-bas, j’avais un travail dans l’ONG Institute Civil Society of Afghanistan. J’étais Assistant opérationnel dans la logistique. Le gouvernement a chuté. Les Talibans sont revenus au pouvoir. Mon frère travaillait au ministère des Affaires étrangères, pour l’ancien gouvernement, et travailler avec une ONG c’était risquer la mort ou la prison. On a dû quitter l’Afghanistan.
Toute ma famille, 6 personnes. Ma sœur, mariée, mon frère et moi, ma petite sœur, ma belle-sœur, ma mère, les enfants de mon frère. On s’est installés en Pakistan en août 2021. Ma famille y est restée.
Au bout d’un mois, je n’ai pas aimé l’environnement. Nous n’avions pas de papiers, nous pouvions être expulsés, c’était risqué. J’ai parlé avec ma famille de l’idée de partir mais elle ne partageait pas ma décision. Je suis parti vers l’Europe tout seul. J’avais 23 ans.
J’avais lu Victor Hugo.
Pourquoi as-tu choisi la France ?
Je connaissais déjà Victor Hugo, Les misérables. Je l’avais lu en Persan. Mon grand frère l’avait acheté. Cela m’a donné envie de venir en France. J’ai cherché sur internet où faire mes études. J’ai trouvé l’Université de la Sorbonne. Plusieurs politiciens Afghans ont étudié à la Sorbonne. C’était mon premier objectif. La France est devenue ma cible.
Tu étais seul, quel a été ton parcours pour arriver jusqu’ici ?
J’ai marché, traversé les frontières à pied, pris le bateau pour traverser la Méditerranée, le camion pour arriver jusqu’en Autriche. En Turquie, avec l’aide d’un passeur, et sur le bateau jusqu’en Grèce.
Je parle anglais. Les Turcs ne parlent pas anglais. En Grèce j’étais plus à l’aise pour communiquer.
J’ai appris l’anglais à l’école. J’ai fait les 2 dernières années de ma licence en Génie Civil en anglais.
Je m’interrogeais toujours sur la stabilité contre les charges du vent, les intempéries,
Pourquoi as-tu choisi le métier d’Ingénieur ?
Je m’intéresse à la construction des ouvrages d’art. Je me demande toujours comment les ingénieurs font, quelle est la science à apprendre. C’est venu au Lycée. Comprendre comment concevoir un ouvrage d’art. Le viaduc de Millau en France. L’un des grands ouvrages d’art. Un ouvrage en béton armé, mais aussi du métal pour préserver la stabilité. En regardant les bâtiments très hauts, je m’interrogeais toujours sur la stabilité contre les charges du vent, les intempéries, dans les lieux sismiques, etc.
Revenons à ton parcours, de la Grèce jusqu’en France…
En Grèce, j’ai logé dans les camps de réfugiés des ONG. Ensuite, je suis parti vers la frontière macédoine, puis la Serbie. Je dormais dans des stations de métro, des maisons abandonnés. J’ai passé un mois sur place avant de passer la frontière vers la Hongrie. Là, on est monté dans un camion avec d’autres migrants pour l’Autriche. Nous étions 10 personnes. On nous a transférés dans un camp de réfugiés au Nord. C’était le confinement.
J’y ai passé 2 semaines puis nous avons été transférés encore à côté de Vienne, où nous étions logés dans un appartement. Je ne parlais pas Autrichien, ni Allemand. Les Autrichiens n’étaient pas très à l’aise avec nous. Je n’aimais pas la langue.
Mon objectif restait la France.
J’ai pris mon sac à dos, et je suis monté dans le train jusqu’à Munich puis jusqu’à la frontière Française, tout près de Strasbourg. J’ai traversé la frontière à pied. Il y avait un pont. Je suis entré sur le territoire mais je n’étais pas sûr d’être en France. Je cherchais le drapeau, j’ai continué à avancer et, enfin, j’ai vu un bâtiment avec un drapeau Français.
J’ai passé la nuit dans un parc. C’était en hiver, j’avais froid. Le lendemain, je suis entré dans la gare, il y avait beaucoup de monde. J’ai essayé de monter dans un TGV sans billet, c’était difficile mais j’ai réussi. Il y avait un conflit entre un client et un agent, j’en ai profité pour filer aux toilettes.
Dès que le train a roulé, je suis sorti, j’ai passé 1h50 dans le couloir. J’avais un masque et un livre à la main.
Quel livre avais-tu en main ?
Un livre en anglais. Unlimited power, de Tony Robbins. Je le regardais sur internet à l’école. Il est très connu en Afghanistan.
Une fois à Paris, comment t’es tu débrouillé ?
Je suis arrivé Gare de l’Est. J’ai passé la nuit dans la gare et puis 2 mois et demi dans la rue. Je me sentais perdu. J’ai rencontré un Afghan qui m’a emmené à l’Association JRS. J’étais très motivé et j’avais mon objectif : la langue, l’université. Ils proposaient des cours de Français. Je me suis inscrit.
C’est là que j’ai appris le Français et rencontré des Français. Je suis rentré dans un programme de famille d’accueil. J’y ai découvert la culture.
Je suis Afghan. Accueillir un étranger, c’est possible, mais pas pour longtemps. Pas assez pour l’autonomiser avec la langue.
Quand j’ai fini mes cours, j’ai trouvé les cours de l’Armée du Salut, et le reste du temps, j’allais à la bibliothèque, la médiathèque des Halles. Ensuite, j’ai découvert celle de Georges Pompidou. Il y avait aussi des ateliers de conversation.
J’essaye toujours d’apprendre avec le plaisir.
Comment as-tu fait pour atteindre ce niveau de langue en si peu de temps ?
On n’a pas le même alphabet. Au début c’était compliqué mais j’étais optimiste. J’étais sûr que j’y arriverais en y consacrant assez de temps.
J’ai commencé avec des choses difficiles. Des cours de conjugaison et j’ai commencé rapidement à lire des romans en français. Puis des journaux. Mes compatriotes me disaient que c’était trop compliqué d’apprendre comme ça.
J’ai essayé de parler français le plus souvent possible. J’ai participé aux activités sportives, artistiques, aux randonnées. Je restais toujours près d’un ou d’une française. Je demandais à la famille d’accueil de me corriger. J’ai supprimé tous mes réseaux en Persan pour les mettre en Français. Je comprenais beaucoup de choses. En lisant les journaux, je notais le vocabulaire difficile pour le traduire.
J’essaye toujours d’apprendre avec le plaisir. C’est une langue agréable. J’aime sa douceur. C’est une langue internationale aussi qui me permet de continuer mes études et de communiquer.
Je suis devenu accroc aux romans et passionné par la littérature française. Certaines familles m’offraient des romans. Ma prof de français, Julie, m’a donné Le petit Prince. J’ai aussi découvert ses autres livres, puis d’autres auteurs classiques.
J’ai appris pendant 6 mois, passé le DELF, j’avais le niveau A2. Cela me permettait d’intégrer une Université. J’ai cherché sur internet les grandes écoles en France et les programmes pour étudiants réfugiés. J’ai trouvé la Sorbonne. Mais en raison de ma formation en Génie civil, le directeur de la Sorbonne m’a orienté vers les écoles d’ingénieurs. J’ai trouvé le Programme Etudiants Réfugiés de l’Ecole des Ponts et Cédric Rousse, son responsable, m’a invité à passer un entretien. Ils m’ont confirmé mon inscription à partir d’octobre 2022.
Parle nous de ton expérience dans ce programme ?
C’était génial ! Une formation très enrichissante. C’est dans l’une des plus grandes écoles. J’ai rencontré plein d’étudiants internationaux, très intelligents. J’ai trouvé l’ambiance multiculturelle très sympa avec des Syriens, des Kurdes, des Ukrainiens.
On a suivi des cours de mathématiques, techniques et suivi des cours pour trouver son orientation et puis toi, Sandra, pour faire les outils de son projet. J’ai suivi des cours sur le transport, la mobilité et le développement durable
J’avais un niveau B2 à la fin. J’ai postulé à plein de masters grâce à Firmin et Cédric. J’ai été pris à Polytech Lille. Je suis étudiant en Master 1 génie civil. Pas facile mais faisable.
Je me souviens de l’anniversaire de Cédric. On a essayé de le surprendre. On a fait des gâteaux, mis de la musique au moment où il est rentré. On a fêté ça tous ensemble, c’était génial !
Comment se passent tes études à Lille après ce long parcours ?
J’ai eu des difficultés avec les matières scientifiques au départ, j’avais oublié pas mal de choses sur la résistance des matériaux.
Au bout de 2, 3 mois, j’ai trouvé des amis, découvert la bibliothèque de mon école, on a créé un groupe d’étudiants étrangers et on travaille parfois ensemble. On sort aussi.
J’ai passé les examens du 1er semestre et j’attends mes résultats. J’étais très stressé.
Dix-neuf mois avec des journées, des nuits compliqués, désemparé …
Comment as-tu trouvé à te loger sur place ?
C’était compliqué. Je n’avais pas encore le bon statut, ni d’argent.
J’ai été logé par une famille, grâce à mon accompagnatrice JRS. C’est dans le centre de Lille. J’ai été convoqué à l’OFPRA et j’ai obtenu mon statut de réfugié. Cela a pris beaucoup de temps !
Dix-neuf mois avec des journées, des nuits compliquées, désemparé, pas de possibilités de travail, pas de logement. J’avais l’empreinte de l’Autriche sur mes papiers et cela a freiné mon installation en France.
Si tu veux faire un truc dans ta vie, il faut croire que c’est possible.
Qu’est ce qui t’a le plus surpris depuis que tu es ici ?
La France est très développée par rapport à mon pays. Je ne connaissais pas les transports, le train, le RER, le TGV, le métro, comment marchent ces grandes infrastructures.
Et puis les immeubles Haussmanniens.
Comment va ta famille ?
Ils vont bien, ils étaient au Pakistan et ont déménagé en Iran.
Quelles sont les grandes différences entre les Français et les Afghans ?
Les Français sont plus ouverts. Sur les savoirs, la science. Grâce à l’éducation.
Quel est ton mot français préféré ?
Réussite. Chacun a un objectif. La philosophie de l’objectif c’est d’atteindre la réussite dans notre vie. Ce n’est pas évident et il faut travailler durement. Il faut y consacrer du temps.
C’est quoi une vie réussie ?
Prendre une décision pour faire une grande aventure de ta vie et trouver l’endroit, les gens où ça te plaît. Et enfin, arriver à ton objectif. Ensuite, partager et aider les gens qui sont en bas. Prendre les mains des autres.
Le temps qu’on passe à table avec un morceau de fromage, du vin, le partage.
Qu’est ce que tu aimes et n’aimes pas dans ce pays ?
J’aime la langue, la culture, les gens accueillants. La gastronomie avec le fromage. Le temps qu’on passe à table avec un morceau de fromage, du vin, le partage.
La diversité. On rencontre plein de gens d’origines différentes. L’ambiance multiculturelle. Apprendre les uns des autres.
Ce que je n’aime, c’est que dans les médias, je trouve les gens un peu racistes. Ils ont une autre vision et sont sévères avec les étrangers.
Tu es en alternance je crois, quel est ton job ?
Je travaille au Théâtre du Nord, je suis ouvreur, je scanne les billets, parfois je reste dans la salle regarder les spectacles. Ce soir, c’est Joey Starr.
Quelles sont tes passions ?
La lecture. Les voyages. Participer aux programmes de développement personnel.
Qu’est ce qui te manque de l’Afghanistan ?
Ma patrie. Mon peuple. Quand je vois mes compatriotes dans les médias coincés par les Talibans dans en endroit transformé en prison.
S’il n’y avait pas les talibans, tu y retournerais ?
Si un jour ils partent, oui, j’aimerais y retourner et utiliser ce que j’ai appris pour le transmettre à mes copains et mes compatriotes.
Qu’as-tu envie de faire de ta vie ?
Fonder une association pour l’accès à l’éducation, notamment les filles, victimes dans mon pays. Et être ingénieur évidemment, dans le génie civil pour lutter contre la crise du logement.
Quel conseil donnerais-tu à une Française, un Français qui doit s’exiler ?
Être encore plus solidaire, pour apprendre les uns des autres.
Mon parcours a été un parcours combattant. Lutter contre les difficultés. Pour chaque personne qui quitte son pays, ce n’est pas facile de s’intégrer dans un nouveau pays, d’apprendre une nouvelle langue, une nouvelle culture. Le chemin est long mais il ne faut ne jamais abandonner.