Interview de Corinne Muraz-Dulaurier, HR Advisor, Etat de Genève, Coach professionnelle. Novembre 2020
Bonjour Corinne, je te laisse te présenter.
Je m’appelle Corinne Muraz-Dulaurier. Aujourd’hui, j’ai une activité de RH Advisor dans une structure d’état, à Genève, en Suisse, qui vise à accompagner les candidats à l’emploi pour les sortir rapidement de ce temps de remise en question qu’est le chômage.
Principalement, je suis la mère de 3 enfants merveilleux.
Quel âge as-tu ? Réel ou ressenti.
J’ai l’impression d’avoir à peine 18 ans et que je passe mon Bac en juin. Chaque matin, j’ai ce sentiment que la vie est devant moi !
Trois mots pour te définir ?
La spontanéité, beaucoup de joie et d’introspection, pas forcément dans cet ordre, mais je dirais que ma spontanéité cache une grande introspection sur moi, le monde et les gens qui m’entourent. Je dis souvent que les gens m’emmerdent mais ils me passionnent !
« Je voulais chercher les dinosaures dans les caves. »
Enfant, qui ou que souhaitais-tu devenir ?
Je voulais être archéologue, ou plutôt, je voulais chercher des dinosaures dans les caves. C’était mon intention et je pensais qu’ils étaient dans les caves. J’étais passionnée de dinosaures !
Un peu plus tard, j’ai voulu faire de la psychanalyse. Au fond, comme tu le disais dans ta précédente interview, cela va dans le même sens, chercher ce qui est caché dans nos caves.
Tu vas creuser assez loin, dis-moi !
J’aime bien aller chercher les cadavres dans le placard, dans nos placards personnels. J’adore mettre à jour ce qui est bien caché !
Pourquoi tu t’es intéressée à l’accompagnement des personnes qui veulent justement « sortir de la cave » ?
Un concours de circonstances, je vis en Suisse, j’avais une activité indépendante, et on m’a proposé ce challenge à Genève. Je ne l’avais pas vu arriver même s’il est dans mon corps de métier car j’ai une carrière de RH. L’enjeu, c’était de le faire dans une administration, dans un pays, une culture, un cadre de loi qui m’étaient inconnus. Le challenge était là, et correspondait à mes valeurs et à mon envie d’apprendre. J’ai une soif d’apprendre.
Cela répond aussi à une question d’équilibre.
Lorsqu’on est indépendant, on a l’impression d’avoir une liberté absolue, ce qui est vrai mais qui est aussi toute relative car on travaille tout le temps. Moi qui pensais pouvoir la conjuguer avec ma passion qui est l’écriture, finalement, je n’ai pas trouvé le temps ! Dans mon caractère de procrastinatrice, cela colle assez bien. Eviter les sujets qui vous tiennent à cœur. C’est une stratégie que j’ai inconsciemment mise en place pour avoir du travail par-dessus la tête, aller par monts et par vaux, et pour ne pas me consacrer à ce à quoi j’aspire par ailleurs. Donc, c’est une liberté toute relative que j’ai pu rééquilibrer en acceptant ce poste.
Ma sœur m’a dit qu’à 50 ans, lorsqu’on te propose un poste comme cela, l’idée est d’aller s’y confronter. Pour quelqu’un qui aime regarder le monde, je suis à un endroit, à ce moment de la crise sanitaire, où j’ai face à moi des personnes qui sont bousculés, égarés parfois. Beaucoup sont dans la lutte de ce qui se passe, et ne prennent pas ce temps pour se poser, pour savoir qui ils sont, et voir ensuite les opportunités à 360°. Beaucoup se sentent victimes d’un système, ils sont dans un mode de combat contre eux-mêmes, contre un environnement contre lequel ils n’ont aucun pouvoir, et c’est extrêmement intéressant.
As-tu le sentiment d’être au bon endroit, au bon moment ?
C’est intéressant de voir sous un autre angle ce que j’ai pu observer dans un autre contexte. Dans ce moment particulier, les situations sont parfois très délicates. Pour autant, ce sont des rencontres humaines extraordinaires. J’apprends tous les jours des personnes que je vois. Ce n’est pas pour faire du « politiquement correct ». Je rencontre des gens qui m’ennuient profondément et d’autres qui me donnent un éclairage sur ma propre vie qui est juste extraordinaire. Pour cela, je dis : merci !
« La chose dont j’ai le plus peur, c’est que les mots m’échappent. »
De quoi as-tu peur ?
Je savais que tu allais me poser cette question ! J’y ai réfléchi un peu ce matin. La chose dont j’ai le plus peur, c’est que les mots m’échappent.
Il y a plein de façon de voir ces mots.
Les mots que tu gardes à l’intérieur et se transforment en maux.
Les mots qui t’échappent et ne t’appartiennent pas forcément, peut-être à une histoire qui t’a précédée. Toutes ces valises, ces portes fermées, ces placards pleins de toiles d’araignées, en regorgent. Tu ne sais peut-être même pas qu’ils sont là, mais ils pèsent.
Les mots que tu couches sur du papier. Ces mots-là, que tu as laissé couler, ne t’appartiennent plus. Ils sont comme des enfants que tu laisses grandir un peu au creux de toi, et à un moment donné, ils vont rencontrer et trouver d’autres échos ailleurs.
Pour ces trois raisons, les mots qui t’échappent, c’est une de mes peurs.
Même en leur donnant leur autonomie, leur liberté ?
C’est très intéressant ce que tu dis, car la peur qui est conjointe à cela me renvoie au manque d’autonomie des personnes qui sont autour de moi et qui n’ont pas accès à leur liberté personnelle car ils n’ont pas cette autonomie-là. Et cela peut me faire très peur.
D’une manière asymétrique, lâcher les mots, c’est évidemment être capable de dire, être adulte au sens de l’analyse transactionnelle, mais aussi perdre quelque chose de soi, enfin, plutôt, montrer quelque chose de soi.
J’ai une amie, Catherine Mazet, une femme extraordinaire, psychologue, qui écrit et accompagne les personnes âgées malades d’Alzheimer, entre autres, dans la résilience, à travers la poésie et les mots. Elle fait des miracles.
Je suis très admirative de son travail. Elle me disait « J’adore ce que tu écris et le jour où tu commenceras à dire « Je », je croirai ce que tu écris ».
Quand j’écris – je travaille sur mon troisième livre -, je parle toujours à la troisième personne ! Je fais porter les mots par un tiers.
Toi qui écris des articles, est-ce que tu vois de quoi je parle ?
La vibration du mot, quand il arrive, quand il est reçu, c’est ma mission de vie.
Absolument ! Avec ces mots, tu libères les maux aussi ?
En ce moment, je ne m’y engage pas trop et ce n’est pas dans mon cadre d’intervention actuelle mais, comme nous avons des entretiens qui sont assez longs, et lorsque je sens que la personne est dans ce questionnement, j’aime, comme Le petit poucet, donner quelques mots. Quelquefois, la personne les saisit et me demande « Qu’est-ce que vous entendez par là ?», alors là je lui demande ce qu’elle a entendu mais je ne vais pas appuyer là où cela fait mal car la transition professionnelle est une période délicate, surtout en ce moment, dans un contexte de licenciements difficiles aussi pour les entreprises, où les mots sur ces maux peuvent être mal venus. Là, je les retiens.
Dans un autre cadre, lorsque j’avais des mission de coaching ou d’outplacement, je n’étais pas quelqu’un qui retient les mots. J’ai un coaching confrontant. La vibration du mot, quand il arrive, quand il est reçu, c’est ma mission de vie.
Justement, tu joues tellement bien avec ces mots, pourquoi est-ce que ce « Je » est compliqué ?
C’est intéressant. En ennéagramme, je suis un 7, c’est le clown, celui qui brille. J’ai fondamentalement peur des clowns, et des barbus !
As-tu lu « Ça » de Stephen King ? Ma plus grande peur d’adolescente, des cauchemars pendant des années, à scruter la bonde du lavabo de la salle de bain chaque soir…
Effrayant ! Comme dans la bouche d’égout, lorsqu’il regarde les enfants… Je suis plutôt quelqu’un qui se cache, qui s’éloigne de la douleur et de ce que l’on pourrait découvrir de moi, par le jeu de mots. Dans le « jeu de mots », il y a évidemment « Je ».
Portes-tu un masque ?
Socialement, je pense que l’on porte tous un masque. Dans le cadre professionnel, on range une partie de soi. Comme on dit, « C’est le jeu ma pauvre Lucette ! », et rares sont les personnes avec lesquelles tu peux vraiment poser le masque. En dehors de ces conventions sociales, où les règles ne sont pas les tiennes, j’ai peu de masque lorsque je suis dans mon cadre personnel, en confiance. Dans l’entreprise, soit j’accepte les règles, soit je pars. Je l’ai déjà fait ! Je ne suis pas dans la lutte, nous avons toujours le choix.
As-tu le sentiment d’avoir trouvé ta voix/voie ?
Est-ce qu’on la trouve un jour ? Je suis très admirative de ces personnes qui ont cette certitude. Ma dernière fille, à l’âge de 7 ans, m’a dit « Maman, plus tard, je serai ostéopathe ». Je lui ai dit que nous avions le temps d’en parler et elle est aujourd’hui en formation d’Ostéopathie. Elle ne s’est jamais dit qu’elle allait faire autre chose. Je trouve cela extraordinaire !
Quand j’étais jeune, après cette envie de chercher les dinosaures, je n’ai pas eu de révélation sur ma voie mais des opportunités et de l’intuition. Je me suis toujours dit que l’on arrive à des croisements avec des choix à faire. A ce carrefour, c’est l’envie, l’enthousiasme qui nous guide. Toute ma carrière professionnelle a été le fruit de rencontres et d’opportunités.
Cela a-t-il fait émerger des désirs qui étaient déjà en toi ?
Pas réellement. C’est le regard de l’autre qui a su voir le potentiel que je ne mettais pas nécessairement en avant. Aujourd’hui, dans mes rencontres, je mets volontiers mon réseau à disposition.
J’ai un regard juste sur les personnes qui sont en face de moi, sans avoir besoin de leur ajouter des paillettes. Ce que je vois dans l’autre me suffit pour le mettre en lien et créer des opportunités. Comme on l’a fait pour moi.
Bon, concernant l’écriture, c’est vrai, je suis dans une stratégie d’évitement depuis quelques années. J’ai un blog qui s’appelle « A poil sous ma plume », qui est une mise à nu par les mots.
Mon moteur, c’est l’enthousiasme !
Tu vas au-delà des « pedigrees » dans ton métier ?
Oui. J’ai fait des études, mais j’étais avant tout quelqu’un de volontaire d’enthousiaste, de rigoureux et de créatif. J’ai une carrière non linéaire et on me demandait souvent : « En fait, c’est quoi votre métier ? ».
Avant, on disait : « Cette personne ne rentre pas dans les cases ». Aujourd’hui, on utilise le mot Zèbre pour qualifier ces personnes.
J’ai passé 18 ans dans le même groupe mais en changeant de job tous les trois ans, au gré des opportunités que l’on me proposait.
Mon moteur, c’est l’enthousiasme ! Je suis un animal trop libre pour rester enfermée trop longtemps. J’ai eu la chance de tomber sur des personnes qui l’ont compris. Lorsqu’on m’enferme, je dépéris, je manque d’enthousiasme et de créativité.
Dans les recrutements, cela me plaisir de valoriser des personnes qui ont cette souplesse. Cela apprend évidemment à gérer l’incertitude et l’intranquillité.
L’inconnu inquiète ou fait peur ?
L’inconnu ne me fait pas peur. J’ai eu des RH, des managers, qui disaient « Cette personne est différente, elle va s’ennuyer ». Mais au fond, quand elle s’en ira, une autre arrivera. Cela revient à retenir les mots, les personnes, par peur de l’inconnu. C’est magique aussi de ne pas savoir ce qui va se passer, non ?
L’histoire se construit et se transforme en permanence et ce qui va se passer dans trois ans pour l’entreprise ou le futur recruté n’est pas encore écrit.
Qui sait ce qu’il sera et où il sera dans trois ans ? J’adorais cela dans les entretiens de recrutement, quand on demandait « Où vous voyez-vous dans 10 ans ? ». Et bien moi, je ne sais pas. Je ne fais pas de plan sur la comète et je ne sais pas répondre à cette question. Je ne sais déjà pas planifier mes vacances, alors…dans 10 ans, cela n’existe pas.
Fais-tu partie des personnes qui ont la capacité à naviguer tranquillement dans cette période tendue et incertaine ?
Oui, parce que si tu mets cette énergie du moment dans la lutte, c’est de l’énergie que tu n’as pas pour toi. Et le « Je » existe avant le « Nous ».
A Berne, en Suisse, en juin, il fait encore assez frais, et tu vois arriver des gens en costume, près de la rivière, avec un petit sac. Ils se déshabillent, glissent leurs vêtements dans ce petit sac étanche, le mettent sur leur dos, et se jettent dans la rivière pour se positionner en étoile et se laisser porter par le courant. Ils ne savent pas où, mais à un moment, l’eau les portera sur la berge.
J’adore observer ce moment de lâcher-prise total et voir ces étoiles humaines se laisser porter, à l’heure du déjeuner, sans anticiper sur le fait qu’ils vont avoir les cheveux mouillés, devoir se rhabiller. Tu les vois ensuite remettre leur costume pour repartir travailler.
C’est une belle métaphore de ce qui se passe en ce moment. Nous n’avons pas de contrôle sur la situation, nous ne savons pas où le courant va nous poser, mais nous pouvons choisir de simplement faire l’étoile et de regarder vers le haut. Peut-être que quelque chose de bien va sortir de tout cela.
Lever les yeux de l’actualité sur son smartphone pour regarder vers le haut…
Ce n’est pas dans ma nature. Je n’écoute pas les informations, je ne les reçois que si je choisis d’aller les chercher. Je crois que c’est la clé en ce moment. Hier matin, j’ai écouté « Les âmes galantes », du Baroque. Ce soir, ce sera Frank Sinatra. Voilà.
Douceur et tendresse. La tendresse manque ces jours-ci, non ?
« Et la tendresse, bordel ! » Je me souviens de ce film. C’est la question que nous devrions nous poser en ce moment. Je comprends qu’il y ait ce repli sur soi, mais il ne faut pas attendre cette tendresse des autres. C’est uniquement si nous sommes capables de nous la donner, que nous pouvons en faire cadeau ensuite.
Il n’y a pas d’échec, seulement des expériences acquises.
Quel est ton plus bel échec ?
C’était au tout début de ma carrière. Jeune diplômée, j’ai été accueillie par un grand groupe dans une station de sports d’hiver. J’avais été formée aux nouvelles approches de communication. Je suis arrivée dans une équipe dans laquelle nous avions une bonne génération de différence et j’avais été recrutée pour apporter de nouvelles façons de communiquer. J’étais très enthousiaste, j’avais très bien travaillé le fond, mais pas vraiment la forme. Mes propositions ont été tellement mal reçues, que la Responsable de la Communication est allée se plaindre de mon comportement auprès du Directeur. Ce dernier m’a reçu et expliqué par le menu, à ma grande surprise, ce qui n’allait pas. Il m’a dit qu’il avait compris mon intention mais que je m’étais mise à dos la Responsable, référente du groupe en la matière, et qu’il ne fallait jamais avoir raison trop tôt. J’ai été licenciée au bout de 3 semaines.
Je pensais être la meilleure, et j’ai été très vexée. Pour terminer la leçon, j’ai dû envoyer des tonnes de telex pendant une semaine !
Il n’y a pas d’échec, seulement des expériences acquises. Une belle claque pour mon ego, et une belle leçon apprise. Soigner la forme, ne pas avoir raison trop tôt sans prendre en considération les freins, les peurs, etc.
J’ajouterais aussi tous les enjeux individuels que tu es venu bousculer !
A cette époque, dans nos études, on ne nous apprenait pas vraiment à tenir compte de tous ces paramètres relationnels.
La ligne de ma carrière a ensuite été d’intervenir dans la conduite des transformations culturelles et organisationnelles.
Quelle est ta motivation intrinsèque ?
Ce que je ne comprends pas ! Trouver le sens propre et le sens figuré, bien sûr caché. Qu’est ce qui se joue ? Comme avec les dinosaures. Qu’est ce qui se passe ? Qu’est-ce que je dois comprendre, lire ? J’ai beaucoup apprécié travailler dans le coaching, avec la PNL, l’analyse transactionnelle, les pratiques narratives. Ces outils sont venus compléter l’intuition, ce que tu sens, et tout le non-dit, le non verbal. J’adore cela !
Le mot ?
Oui ! Le mot qui t’échappe ! La personne qui fait un contresens ou utilise un mot pour un autre, c’est tout ce qu’elle a l’intérieur qu’elle retient.
Dans mon travail au quotidien, c’est fabuleux ! Derrière le masque policé, il y a le mot de trop, le mot de pas assez, le mot qui fuse, et cela, c’est une délectation, même si je ne le fais pas forcément remarquer. C’est jouissif. J’ai une vie très intérieure en fait.
C’est ton cinéma intérieur ?
Exactement ! Et il y a beaucoup de comédie. C’est joyeux !
Que fais-tu sur les réseaux sociaux ?
Sur Facebook, je retrouve mes copains du monde entier et nous rigolons bien. Je suis plutôt la fanfaronne. J’aime aussi la poésie, les citations.
La page sur laquelle je publie, sur Facebook et sur Instagram, s’appelle : « A poil sous ma plume ». Sur Instagram, j’ai une curiosité un peu voyeuse. Certains me fascinent par leurs hobbies, par leur façon de se montrer, de se mettre en scène.
J’ai aussi une passion pour les Golden Retriver ! J’ai vécu 15 ans d’amour fou avec mon chien, qui est mort maintenant. Tous les jours, je vais voir des Golden Retriver sur Instagram.
Sur LinkedIn, j’aime écrire sur la vie, partager des étonnements, j’ai un regard un peu détaché sur les choses.
Il y a toujours beaucoup d’humour dans ta façon d’écrire, comme un filtre.
Oui, j’en ai besoin.
« Je lui ai répondu que je devais être la fille cachée de Jacques Chirac et Simone Veil. »
Quelle personne ou personnalité aimerais-tu ou aurais-tu aimé coacher ?
Jacques Chirac !
Il y a quelques années, un Coach m’a dit, tu dois avoir des mentors ou des personnes dont t’inspirer. J’ai réfléchi et lui ai répondu que je devais être la fille cachée de Jacques Chirac et Simone Veil.
Je parle de l’homme, je ne le jugerais pas sur sa carrière politique. C’est un 7 en ennéagramme, un épicurien, un homme qui aime la vie, les gens, rire, j’aurais aimé avoir un échange avec lui, lui poser plein de questions. Ce côté fuyant m’intéresse.
Il aurait probablement tenté de te séduire, non ?
Ah oui, sûrement ! Je n’aurais pas réussi à le coacher à mon avis, c’était une personnalité fuyante qui se protégeait beaucoup, mais ce goût de la vie, cet enthousiasme, cet humanisme, cette culture, cette souffrance personnelle face aux épreuves de la vie, cela fait écho à des choses que je connais.
Quel personnage de fiction ou monstre te fascine ?
Je vais te parler d’un monstre qui a habité mon enfance. Un barrage d’eau électrique qui barrait la vallée de la Tarentaise où je vivais. Ce barrage retient des millions de m3 d’eau et avait une sirène particulière qui retentissait une fois par mois. Si le barrage cédait, il inondait les rues de Grenoble qui se trouvait à 200km de là.
J’avais préparé un sac sous mon lit pour ma sœur et moi pour nous enfuir, en altitude. J’avais fait des calculs, il y avait peu de chances que l’on s’en sorte.
C’était un monstre technologique, nécessaire, lié au confort, qui marquait quelque chose de suspendu dans la vie de l’enfant que j’étais. Mes parents étaient hôteliers et recevaient des ingénieurs EDF qui travaillaient sur différents barrages et, le soir, dans les conversations qui pouvaient se tenir, je laissais trainer une oreille pour poser des questions qui, à 6 ou 7 ans, laissaient pantoises les personnes qui me regardaient.
Sinon, ce sont les psychopathes américains qui me font le plus peur. Comme le dit Jean-Claude Vandamme : « Selon les statistiques, il y a une personne sur cinq qui est déséquilibrée. S’il y a quatre personnes autour de toi et qu’elles te semblent normales, c’est pas bon. »
J’ai un faible pour les éclairages de Van Damme ! Crois-tu que sa théorie soit fondée ?
Je ne sais pas mais au fond, tu ne sais pas vraiment qui t’entoure. On en revient à ce qui est caché. Tu parlais de clown, de masque. C’est cette part cachée qui me fait peur. La folie est en chacun et le point de rupture n’est pas au même endroit. Cela ne me fait pas peur dans la relation interpersonnelle, mais plutôt dans le groupe. Je fuis le groupe, je ne me sens pas appartenir à un groupe, à un collectif, ce n’est pas mon truc.
Cela peut m’amuser de travailler à plusieurs mais cette collaboration doit avoir une date de fin. Sur le long terme, ce n’est plus vivifiant. Le lien, la dépendance, me fait fuir. En amour, c’est un autre sujet…
As-tu un mot ou une expression qui t’agace ?
« Possiblement ». C’est l’association antinomique à souhait.
Tu laisses entrevoir une possibilité, une ouverture, tout en disant « le possible ment ». En fait, tu dis que tu refuses ce qui est possible. C’est un tic verbal que je ne comprends pas.
Une autre expression qui m’agace et qui ponctue souvent les emails, c’est : « Prenez soin de vous ». Comme si cela n’allait pas de soi ! Cela me fait penser à un livre de Sophie Calle sur un email de rupture qu’elle avait reçu, et qui se terminait par cette expression. Elle se demandait comment cet homme pouvait lui dire de prendre soin d’elle alors qu’il venait de la quitter. Elle a fait une rétrospective complète sur ce thème en demandant à des chanteurs, peintres, plasticiens, de créer quelque chose à partir de cette expression.
Je préfère que l’on ne me dise rien. Je n’aime pas les mots valises !
Je finis par éprouver un certain dégoût pour les mots ou expressions utilisés de façon abusive, et notamment lorsqu’ils rentrent dans le langage politique, comme « bienveillance ». J’ai ensuite le sentiment que le mot est souillé.
Exactement ! Certains mots comme « ADN » et « authenticité » ont été vidés de leur sens et employés à toutes les sauces dans le marketing et la communication.
A l’inverse, y a-t-il un mot ou une expression que tu aimes ?
Je suis friande des expressions qui sont en train de naître. J’ai des enfants qui passent tout le temps d’un registre à l’autre, entre le langage actuel et celui de ma génération. Je ne comprends pas toujours ce qu’ils disent mais j’aime découvrir ces nouveaux mots et cette langue qui vit.
Celui qui me vient, c’est le mot « amour ». Il ne se galvaude pas.
Ce qui reste, et ce qui manque aujourd’hui, c’est la relation d’amour au sens large, celui que l’on a à partager, dans une relation, dans les salles de spectacle, dans la lecture, dans un sourire. Cela peut paraître idiot mais à travers les siècles, c’est celui qui n’a jamais été souillé. Peut-être ne l’emploie-t-on pas suffisamment ? Revenir à son cœur, aujourd’hui, me semble important. C’est à partir de lui que nous pouvons reconstruire du neuf.
Tu m’as envoyé un message après cette interview me disant que tu aimerais vivre dans un film de Claude Sautet et demandé de deviner lequel. J’ai choisi « Les choses de la vie » qui résume bien, à mon sens, tous les sujets que nous avons visités.
Chirac aurait fait un merveilleux personnage de Sautet ! Qu’en dis-tu ?
Certainement. Proche de Montand dans « César et Rosalie », j’imagine. Je ne vis pas en nostalgie, mais peut-être un peu. La légèreté dans le moment présent. Oui, c’est ce qui me manque. Les dîners entre amis, les fumées de cigarettes, les regards qui parlent d’amour et de rupture nécessaire. La liberté, les rires, la joie, la vie quoi !
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